Dan Levy – « Ce que je recherche, c’est l’émotion avant tout. »

Dans le cadre du Festival Music & Cinema d’Aubagne, qui se déroule en ligne du 30 mars au 4 avril,
le compositeur césarisé de J’ai perdu mon corps, et moitié du groupe The Dø,
revient sur son parcours de musicien cinéphile.

Temps de lecture 4 min.

Dan Levy

Interview

En février dernier, Dan Levy recevait le César de la meilleure musique de film pour la superbe partition du film d’animation de Jérémy Clapin J’ai perdu mon corps. Une reconnaissance ultra-méritée pour celui qui a déjà signé la musique de sept long-métrages, avant et après la formation de son groupe de pop The Dø. Compositeur, instrumentiste, et producteur exigeant d’artistes tels que Jeanne Added, Las Aves ou S+C+A+R+R, ce musicien passionné signe des scores à la fois sensibles et précis, au romantisme vibrant. Dans le cadre du Festival Music & Cinema d’Aubagne, il a accepté de revenir sur son parcours depuis la maison de Normandie où il vit et travaille.

Comment se passe le confinement ?
Ça ne change pas grand-chose à ma vie, parce que j’habite en Normandie, où je vis déjà un peu en autarcie le reste du temps. J’ai la chance d’avoir un très grand terrain, mon studio et ma maison. Je suis en train de terminer un album pour une artiste, et je profite de ces moments de confinement pour avancer au plus vite. La seule chose qui me manque, c’est ma famille et mes parents.

Comment la musique de films s’est-elle imposée au jeune musicien que vous étiez ?
Quand je suis entré au conservatoire à l’âge de 8 ans, j’ai commencé le saxo. J’étais passionné de jazz, j’adorais Charlie Parker, Thelonious Monk et Sony Rollins… Après, j’ai commencé à faire de la musique pour une troupe de théâtre qu’on avait montée entre ados. On tournait aussi des petits films en super 8 et c’est là que j’ai eu le déclic pour l’image. Je me voyais écrire pour le grand orchestre, j’étais fan de Stravinsky, Bartók ou Penderecki, qui vient de nous quitter, et j’étais attiré par la musique de film parce que c’était le seul art populaire qui permettait d’écrire pour l’orchestre.

« Quand je travaille, j’ai besoin d’avoir la chair de poule, c’est l’excitation
de l’émotion qui me pousse à travailler »

Vous étiez aussi très cinéphile ?
Je regardais des films non-stop ! J’étais très difficile, très virulent quand il y avait des débats sur le cinéma. Mon dieu, c’était Fellini, qui m’a autant bousculé que Bartók en musique. Fellini, c’est se dire qu’avec le cinéma on peut tout raconter, je préférais ça au cinéma naturaliste. Après je devenu un grand fan de Bergman, que je ne vois pas comme un naturaliste mais comme un poète. J’ai eu aussi une grosse période Kusturica.

Et parmi les compositeurs de film, vous avez des maîtres ?
Nino Rota surtout, ou John Williams pour ses thèmes et sa puissance… Mais je n’étais pas fan des compositeurs de cinéma comme je pouvais l’être des compositeurs de classique.

Quelle est selon vous la fonction d’une musique de film ?
Ce que je recherche en studio, c’est l’émotion avant tout. Quand je travaille, j’ai besoin d’avoir la chair de poule, c’est l’excitation de l’émotion qui me pousse à travailler, si je ne ressens rien émotionnellement je n’y arrive pas. C’est ce qui prime, notamment sur un film d’animation comme J’ai perdu mon corps. Quand j’ai commencé à travailler, je n’avais pas les images, j’avais juste un storyboard donc j’ai transposé les émotions sur la musique. Juste avec une musique, on arrive à transporter les gens sans raconter d’histoire, on n’est même pas obligé de raconter la perte de quelqu’un, la tristesse ou la joie. L’émotion peut être positive ou mélancolique, d’ailleurs. On me parle toujours de mélancolie dans les trucs que je fais, mais ça peut être une mélancolie joyeuse

« j’ai compris qu’une musique doit pouvoir nous accompagner
après l’expérience du spectacle ou du film »

Dans J’ai perdu mon corps, les bruitages sont également très importants. Dans quelle mesure y avez-vous participé en tant que compositeur du film ?
Ils avaient déjà bien avancé sur le bruitage avant que j’arrive, et après ça se mêlait, je pouvais prendre une scène et composer en ajoutant mes sound design. Il y a une chose qui me rend vraiment heureux aujourd’hui, c’est d’avoir eu l’idée de muter le son dans certaines scènes, pour renforcer le sentiment du souvenir. C’est assez vague les souvenirs, on peut se souvenir du bruit de la mer, mais pas des bruitages précis. Dans la scène où Naoufel revoit sa mère jouer du violoncelle, j’ai dit à Jérémy « on va muter ». On a juste laisser ma musique par-dessus et du coup on entre dans la tête du personnage. Pour moi, ça fait partie du sound design de ne pas mettre de son.

Une musique de film doit-elle pouvoir se suffire à elle-même ?
Bien avant The Dø, j’ai travaillé avec le chorégraphe de danse contemporaine Juha Marsalo qui m’a dit : « Dan, je veux que tu fasses de la musique contemporaine, mais je veux aussi qu’on arrive à vendre des disques à la sortie. » Ça me paraissait compliqué car c’était un spectacle très dur, très physique. Finalement Carolyn Carlson a produit le disque, Scène d’amour, et on les a tous vendus. Ça a été une petite révolution pour moi, j’ai compris qu’une musique doit pouvoir nous accompagner après l’expérience du spectacle ou du film. Si c’est juste pour mettre une musique de fond pour accompagner, ça n’a pas d’intérêt. Pour moi, ce n’est même pas de la musique.

Lorsque vous travaillez avec un réalisateur, l’idée c’est moins de vous mettre au service de sa vision que de lui proposer la vôtre ?
Par expérience, je constate que les meilleures choses se font quand on est chacun à notre place, qu’on sait exactement ce qu’on peut faire pour une œuvre et qu’on fait confiance à l’autre. J’ai fait sept longs-métrages, il n’y a que deux films où je me suis senti libre, et ce sont ces deux-là qui ont été primés. Pour J’ai perdu mon corps, au début du travail, Jérémy Clapin est venu me voir en studio pour me dire « tu seras co-auteur du film, il faut que tu le saches », et c’est quelque chose que je n’oublierai jamais. Il faut laisser les gens faire ce qu’ils savent faire. Si vous faites le projet que vous avez au fond de vous, ça marche. Avec The Dø quand on a commencé, on s’amusait, on était heureux, on était libres, et on s’est retrouvés numéro 1 des ventes.

La prochaine étape, ce serait de réaliser un film et d’en composer la musique ?
Ça a toujours été un rêve, mais vraiment un rêve que je ne réaliserai jamais. Je sais à quel point c’est compliqué de faire un film. Comme je disais, chacun sa place, et je crois que la mienne ça reste la musique.

J’ai perdu mon corps

Soundtrack

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