Laura Wandel, réalisatrice d’Un Monde

« J’avais envie de renvoyer le spectateur à sa propre enfance. »

Avec Un Monde, la réalisatrice bruxelloise Laura Wandel signe un premier long-métrage d’une beauté suffocante, immersion dans le quotidien scolaire d’une fillette témoin du harcèlement de son frère. Elle nous parle de la fabrication du film.

Interview : Caroline Veunac

25 janvier 2022

Temps de lecture 5 min

Les souvenirs d’école sont avant tout olfactifs. Fermez les yeux et retournez-y. Le fumet de nourriture bouillie sortant par vagues du réfectoire, le chlore de la piscine entre les doigts fripés, l’odeur de craie et de colle blanche de la salle de classe… Il y a aussi les bruits – cris qui s’envolent d’on ne sait où, échos métalliques, cloche stridente, rumeur indistincte des petits troupeaux rejoignant la cour de récréation. Ces sensations, Laura Wandel en a fait la matière première de son film, Un Monde, qui nous replonge dans la vie scolaire à travers la perception qu’en a Nora, une petite fille de 9 ans, confrontée au harcèlement de son frère aîné. Il ne s’agit pas ici de nous tendre une Madeleine pour flatter notre nostalgie, mais plutôt de convoquer nos souvenirs épidermiques pour dire quelque chose de notre société, en nous rappelant intimement la solitude de l’enfance, et la violence d’une socialisation qui passe souvent par des mécanismes de domination. Après trois courts-métrages, Laura Wandel, dont le film a été sélectionné à Cannes dans la section Un Certain Regard, entre dans la cour des grands en poursuivant une approche à la fois sociale et sensorielle. Et met au cœur de son projet une débutante exceptionnelle, Maya Vanderbeque, dont le regard bleu déchirant est parti pour ne plus nous quitter.

D’abord ce titre, Un Monde. Que dit-il de votre projet dans ce film ?

Le titre originel était La Naissance des arbres. Mais au montage, je me suis rendu compte que ça ne correspondait plus au film qui était en train d’aboutir. C’est alors que le titre Un Monde est apparu dans mes rêves. Ça peut paraître étrange mais je l’ai vu écrit dans mon rêve, et je me suis dit « c’est ça ». Le fait qu’il soit très ouvert me plaît beaucoup, en contradiction avec la mise en scène qui est assez serrée, toujours sur cette enfant. Et puis pour moi, ce qui se passe dans cette cour de récréation est un miroir de la société et du monde en général. Les rapports de domination, la nécessité de s’intégrer, le besoin de reconnaissance, les enjeux territoriaux… Ce monde, c’est aussi le nôtre.

 

 

En quoi ce premier long-métrage prolonge-t-il la démarche initiée dans vos courts ?

J’essaye d’être à l’écoute de chaque nouveau projet, mais j’ai l’impression qu’il y a quelque chose que je poursuis depuis le début : être en immersion dans un microcosme, essayer de faire en sorte que le spectateur soit en empathie avec les personnages, de retranscrire une certaine perception, une certaine réalité du personnage.

Cette immersion passe par des choix de mise en scène. Quels ont été vos parti pris pour Un Monde ?

Avec mon chef opérateur, on s’est demandé comment Nora vit tout ça, et on s’est dit que la meilleure manière de recréer sa perception, c’était d’être tout le temps à sa hauteur. La vision d’un enfant est assez limitée, parce qu’il est petit et qu’il n’a pas accès à tout. Alors nous avons essayé de ne pas donner de repère de lieu, pour retransmettre sa vision morcelée du monde. Nous avons beaucoup travaillé en amont, pas tellement avec Maya parce qu’on voulait la préserver le plus possible, mais avec d’autres enfants qui ont bien voulu se prêter au jeu, pour trouver le meilleur moyen de filmer un enfant dans une école.

L’école, c’est également un univers sonore. Comment l’avez-vous reconstitué ?

Mon producteur me dit toujours le mot qui revient le plus dans mon scénario, c’est « brouhaha » ! Quand j’étais enfant, je me souviens de brouhaha infernal, que j’ai retrouvé quand je suis retournée dans les cours de récréation pour écrire ce film. C’est insécurisant, fatiguant, presque une forme de violence, et je voulais retranscrire ça dans la perception de Nora. Ça peut paraître brouillon tout ce brouhaha dans le film, mais en fait c’est hyper-construit, comme une partition sonore. Ça a été un travail énorme, les ingénieurs du son ont passé deux semaines dans des cours de récréation pour reprendre des sons, et au montage, chaque cri d’enfant est disposé à un certain endroit pour créer de la tension. On a aussi pas mal retravaillé les dialogues en post-synchronisation pour rajouter de la matière. En même temps on savait qu’il ne fallait pas épuiser les oreilles des spectateurs, alors on a aussi joué sur des coupes franches, pour montrer que le silence peut parfois être encore plus insécurisant que le brouhaha.

 

 

Un Monde parle de harcèlement scolaire. Vous reconnaissez-vous dans l’expression « cinéma social » ?

Quand on me demande de qualifier le genre je dis souvent que c’est un drame social. Mais j’essaye de toucher le spectateur par ses sens, parce que c’est ça le cinéma. Là je voulais qu’on sente presque l’odeur de la piscine ou du réfectoire. On a tous ces souvenirs-là. J’avais envie de renvoyer le plus possible le spectateur à sa propre enfance.

Le film repose sur les épaules d’une petite fille de 9 ans qui n’avait jamais joué avant. Comment l’avez-vous aidée à trouver sa place devant la caméra ?

J’ai vu environ 200 enfants en casting. Maya s’est présentée assez vite. À ce moment-là elle avait 7 ans, elle est arrivée, et elle m’a dit tout de suite : « Je veux donner toute ma force à ce film. » Ça m’a beaucoup touchée parce que j’avais besoin d’enfants solides, avec une volonté. Il y a un truc qui peut paraître anodin, mais je lui ai appris à nager, et ça a créé un lien de confiance entre nous deux. Une fois qu’on l’a choisie pour jouer Nora, on a orienté tout le casting en fonction d’elle. Je savais que je ne voulais pas donner de scénario aux enfants, parce que je voulais qu’ils apportent une part de créativité. Alors trois mois avant le tournage, tous les week-ends, nous avons travaillé avec une orthopédagogue qui a mis en place une méthode vraiment super. On a d’abord demandé aux enfants de construire une marionnette, pour qu’ils fassent bien la distinction entre eux et leur personnage. Ensuite on leur expliquait le tout début d’une scène et ils nous faisaient des propositions d’actions ou de dialogues en s’exprimant à travers leur marionnette, puis on leur demandait d’improviser la scène. Parfois, ils proposaient des dialogues bien plus intéressants que ceux que j’avais écrits, alors je réécrivais. Et il y avait une dernière étape où on leur demandait de dessiner la scène. Tout le scénario a été dessiné par eux, et c’est devenu leur base de travail.

Maya Vanderbeque est une révélation pour les spectateurs. Et pour elle, ce film a-t-il été la révélation d’une vocation ?

Pour elle, ça a été une expérience incroyable. Je l’ai vue se développer, s’épanouir. C’est magnifique. Aujourd’hui elle a 11 ans, et elle est certaine qu’elle veut faire ça. Elle veut vraiment recommencer.

Un Monde est en salle le 25 janvier

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