The Dig sur Netflix

Passeurs de trésor

Deuxième film du metteur en scène australien Simon Stone, plus connu pour son travail au théâtre, The Dig est une élégie grandiose, faussement corseté, qui retrace l’histoire vraie d’une découverte archéologique majeure à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Tout simplement bouleversant.

Par Perrine Quennesson

Temps de lecture 5 min

The Dig

Bande-annonce

A Sutton Hoo, dans le Suffolk, une extraordinaire découverte eut lieu en 1939, à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Dans un immense terrain, sur un promontoire à l’est du fleuve Deben, les restes fragiles mais intactes d’un bateau datant du 7e siècle furent mis à jour. Un événement archéologique tant cette période, le haut Moyen-âge, cet Âge sombre comme il est surnommé, était alors peu documenté. C’est le point de départ de The Dig. On pourrait voir le deuxième film de Simon Stone, après The Daughter en 2015, comme un drame en costumes dans la pure tradition anglaise, avec ce qu’il faut de politesse et d’émotions refoulées. Mais ce n’est pas le genre de ce cinéaste australien, qui s’est d’abord fait un nom au théâtre grâce, notamment, à la modernité de ses mises en scène, n’hésitant pas à transposer les classiques de Tchekhov ou d’Ibsen à notre époque. À son contact, et par à un ingénieux système de scène tournante, ces œuvres imposaient à nouveau leur force, leur intemporalité et leur universalité.

Alors quand Simon Stone s’attaque à ce morceau d’histoire, inscrit dans une période lourdement évocatrice du 20e siècle, il ne se contente pas de relater les faits avec un petit rab de Earl Grey. Non, il nous raconte un moment. Un moment d’éternité, comme suspendu dans le temps, une respiration volée à la fois au corsetage des libertés voulu par la société de l’époque, et au chaos imminent, dont le tumulte s’invite peu à peu à l’image. En faisant la part belle aux lumières entre chien et loup, The Dig nous conte la réunion de deux âmes passionnées, au bord du crépuscule : Edith Pretty (parfaite Carey Mulligan), jeune veuve malade, propriétaire du terrain devenu site archéologique, et Basil Brown (Ralph Fiennes, tout en force intériorisée), un « fouilleur » doué, mais déconsidéré par les instances muséales, car vu comme un amateur. Ces deux solitaires, qui ont bien conscience de leur valeur, sont immunisés aux remarques dégradantes dues à leur sexe ou à leur origine sociale. Leur rencontre a tout du « meet cute » à l’anglaise : deux personnes se rencontrent de manière charmante, ici autour d’un projet de fouille, et développent une relation amoureuse. Or, il n’en est rien ici, car ce qui intéresse Simon Stone dans ce duo, c’est moins l’idée de romance que celle de transmission. Une transmission qui se cristallise autour du fils d’Edith, le jeune Robert, avec lequel Basil partage son savoir, et à qui sa mère cherche à donner un cadre et une force de caractère tournée vers la curiosité, pour qu’il devienne à son tour le garant d’une époque et l’espoir d’un avenir meilleur. Comme ce bateau qu’ils mettent à jour, témoin précaire d’un passé refaisant surface quelque treize siècles après été enterré là. En croisant la grande et la petite histoire, The Dig pose la question de savoir ce qu’il reste de nous, simple quidam ou civilisation, une fois que le temps a fait son œuvre.

« Des envolées lyriques proches d’un Terrence Malick »

Laisser une trace qui traversera les âges devient alors l’enjeu de nos deux héros ordinaires, que ce milieu du 20e siècle s’efforce d’ignorer. Ce combat s’amplifie au fur et à mesure du film, et se concrétise par les photos prises par le cousin d’Edith, Rory (toujours charmant Johnny Flynn), qui immortalisent l’excavation, alors que les huiles du British Museum, averties de la découverte du trésor, cherchent à les écarter des fouilles. Ce qui était un film de peu de mots et de peu de gens se transforme peu à peu en film de bande. La scénariste Moira Buffini (Tamara Drewe), qui adapte le roman de John Preston, introduit une clique hétérogène où se croisent nos apprentis archéologues, un snobinard du musée londonien et une galerie de jeunes universitaires motivés. Un groupe qui va peu à peu s’unir et se consolider autour de deux sentiments galvanisants : l’enthousiasme provoqué par l’effeuillage de cet artefact venu du fond des âges avec lequel ils sont les premiers à communiquer, puis l’urgence face aux évènements qui s’emballent.

Le monde est au bord du précipice, alors il est plus que jamais temps d’aimer, car nous aurons tout le temps de mourir. Pour Simon Stone, là réside le pouvoir intemporel de l’Homme. Celui d’un amour qui traverse le temps et prend diverses formes : un couple qui se sépare pour mieux retrouver le bonheur ailleurs, même s’il est interdit ou condamné ; une mère avec son fils ; des époux dont le temps ne fait que renforcer l’attachement ; un homme et sa passion ; un peuple qui a offert la plus belle sépulture possible à celui qu’il admirait. L’amour est la respiration du monde, et Simon Stone d’en rendre compte visuellement, en alternant la contrainte sublime du film en costumes et des envolées lyriques proches d’un Terrence Malick. Le sentiment élégiaque qui parcourt The Dig lui donne à la fois sa grâce et sa densité. Mais contrairement au réalisateur de Tree of Life, l’Australien ne croit pas en une transcendance qui viendrait d’en haut, en une pérennité que seul le ciel pourrait nous accorder. Plus proche du sol, et même du sous-sol, il met en scène l’immanence. Dans The Dig, l’immortalité est avant tout l’affaire des humains. L’archéologie est l’art de mettre à jour ce que fut la vie à une autre époque. Mais encore faut-il avoir pleinement vécu.

The Dig, disponible sur Netflix

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