Jean-Baptiste Braud – In The Still Night

Auteur d’un premier court métrage virtuose disponible sur MyCanal.fr,
Jean-Baptiste Braud nous raconte comment il a tourné son film au Japon.

Par Jacques Braunstein

Temps de lecture 6 min.

In the Still Night

Court-métrage

Comment avez-vous eu l’idée de réaliser votre court métrage au Japon ?
Je suis parti tout seul au Japon avec un désir de tout photographier, c’est un pays extrêmement inspirant. C’est le dernier pays industrialisé où tu es complètement dépaysé, comme dans un monde parallèle. Au Japon, le quiproquo est permanent. Ce n’est pas un cliché pour faire rire, tu te sens constamment en décalage… J’ai rencontré les gens de Pen Magazine, un très beau magazine international sur l’art de vivre et la culture qui est un peu le Vanity Fair japonais. Je leur ai montré mes productions pour les médias digitaux de Canal +. Ils étaient très étonnés… Étonnés, par exemple, que l’on puisse faire de la TV, de la presse et de la vidéo sur le web en même temps, comme Clique.tv (le media de Mouloud Achour).

In the Still Night est une autofiction imaginaire.

On est loin du cinéma.
Pen voulait se mettre à l’image pour leur nouveau média international alors je leur ai proposé une série sur des créatifs, qui s’appelle « Paris-Tokyo » dans différents domaines qui vivent ou ont vécu entre les deux villes, parlent de leurs rapports avec elles et de leurs inspirations. Ils m’ont proposé un budget très bas (que j’ai accepté sans discuter) et j’ai tourné les deux premiers épisodes avec Ramdam Touhami et André Saraiva qui sont extrêmement populaires au Japon. C’était la première fois que je réalisais et j’ai fait des sortes de micro-documentaires. C’est là que j’ai constitué mon équipe de production, des gens qui ont notamment bossé avec moi chez Canal. J’ai réalisé huit « Paris-Tokyo » et puis j’ai proposé à Pen de se lancer dans la fiction avec le scénario du film In the Still Night. Entre temps j’avais quitté CANAL+ et monté ma structure de production (Braud Films).

Comment est né ce scénario ?
In the Still Night est un peu une autofiction imaginaire. C’est un mélange de plusieurs histoires plus ou moins personnelles. La séparation pousse à écrire et à faire des choses. Même si ce sujet est un invariant anthropologique classique du cinéma : celui de l’être aimé et perdu. Il y a des références au cinéma japonais, celui de Ozu par exemple, dans le cadre qui est très composé. Il y a du rêve, de l’inconscient, on est tout le temps dans la tête du personnage principal comme dans Un long voyage vers la nuit. A l’exposition dont il est le curator, le personnage présente des photos totalement déprimantes. C’est lui qui les a choisis, on est donc dans sa tête quand on entre dans la galerie.

La référence la plus évidente du film c’est bien entendu Lost In Translation de Sophia Coppola.
Je n’avais pas du tout Lost in Translation en tête quand j’ai écrit mon scénario et tourné, mais quand on voit un américain dans un hôtel, spontanément on y pense. D’autant que, comme Bill Murray, mon acteur principal Eric Wareheim est physiquement drôle et attachant… Mais mes références principales étaient plutôt David Lynch, Ozu ou West Anderson dans la composition et le sens du détail.

Comment avez-vous rencontré Eric Warheim, votre acteur principal ?
Nous nous sommes rencontrés à Los Angeles. Il est fan du cinéma français, et même s’il réside à Los Angeles, il n’est pas dans le système hollywoodien. C’est une personnalité assez underground. Je l’avais découvert et suivi à travers son duo Tim&Eric, puis dans Réalité et Wrong Cops, deux des films de Quentin Dupieux dont je suis très fan. Et récemment dans la série Master of None de Aziz Ansari (Netflix).

Comment est venue l’idée de tourner dans l’hôtel Gajoen Tokyo ?
La visite qu’il fait de l’hôtel, je l’ai faite comme lui et j’ai trouvé ça assez fabuleux. Mais, contrairement à lui, je ne m’y suis pas perdu. Pen magazine m’a parlé d’un hôtel qui aimerait beaucoup avoir l’avis d’un français. Là-bas, c’est très important l’avis d’un français. L’hôtel n’est pas très grand selon les standards japonais, mais le complexe autour est immense. Il a de vieux bâtiments comme celui où se situe la galerie, les boutiques… Tout est tourné dans cet hôtel qui recèle plein d’ambiances différentes comme un véritable studio de cinéma.

Cela a été compliqué de tourner chez eux ?
Au Japon c’est assez informel, on ne fait pas vraiment de contrat. Il y a avant tout une certaine idée de l’honneur qui se révèle finalement plus efficace que n’importe quel contrat. Cela tranche avec l’approche US où au contraire tout est balisé contractuellement. Le seul problème c’est que c’est très compliqué de tourner dans un hôtel. Il y a de la circulation tout le temps. On a quand même dû bloquer l’accès principal en pleine journée.

Aviez-vous une équipe importante ?
Mon court métrage est une co-production avec Pen Film (le label cinéma du média). L’équipe artistique était principalement française : le chef opérateur (Athys de Galzain) et le directeur artistique (Gilles de Bagneaux) … J’ai préparé et monté le film en France, mais je disposais d’un directeur de production japonais. Sur le tournage nous avions une équipe d’une vingtaine de personne… On a tourné quinze plans par jour pendant trois jours. L’essentiel était la préparation, le tournage c’est finalement le plus facile. Rien n’était laissé au hasard pour se donner la possibilité d’improviser. Comme le temps était court, nous étions très organisés entre l’équipe française et japonaise. On se comprenait sans se parler (seuls les chef de poste parlaient anglais), parfois avec l’aide du storyboard et des shot maps.

Pourquoi le Japon ?
Je suis passionné par le cinéma japonais, j’adore son minimalisme, cette espèce de simplicité complexe. J’aime aussi le romantisme du cinéma d’auteur français, tout comme j’ai un intérêt particulier envers l’efficacité et le pragmatisme du cinéma américain. Je trouvais intéressant d’avoir ses trois choses en tête pour proposer une fiction un peu singulière. J’espérais que la confrontation des univers créerait un univers surprenant. Et les choses se sont enchaînées assez facilement. Les japonais aimaient bien l’idée qu’un français fasse un film chez eux et Éric Wareheim était forcément plus tenté de tourner à Tokyo qu’à Pantin.

Quel est votre prochain projet ?
Je prépare un nouveau court métrage dans une montagne sacrée au Japon. Je souhaite y explorer la thématique de la disparition volontaire…

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