The Haunting of Bly Manor
Bonne nuit les petits

Deux ans après avoir fait pleurer de peur et d’émotion mêlées les spectateurs de The Haunting of Hill House, Mike Flanagan arpente un nouveau manoir de l’angoisse avec The Haunting of Bly Manor, toujours sur Netflix. Mais cette fois, l’effroi s’estompe. Et la mélancolie prend le dessus.

Par Perrine Quennesson

Temps de lecture 5 min

The Haunting of Bly Manor

Bande-Annonce

La littérature est décidément le terreau de prédilection de Mike Flanagan. Après The Haunting of Hill House, adaptée du roman La Maison hantée, écrit à la fin des années 50 par Shirley Jackson, The Haunting of Bly Manor, la nouvelle saison de la série anthologique qu’il showrunne pour Netflix, va plutôt chercher du côté d’Henry James, et plus particulièrement du Tour d’écrou, l’une des nouvelles les plus célèbres de l’écrivain américano-britannique. Tellement célèbre qu’elle a déjà fait l’objet de plusieurs adaptations et variations, dont Les Innocents, de Jack Clayton, en 1961 (avec Deborah Kerr), et Les Autres, d’Alejandro Amenábar, en 2001 (avec Nicole Kidman). Il y a une logique à ce que ce texte dont la fascination a traversé les époques devienne aujourd’hui une série télé : il fut en effet publié initialement sous la forme d’un feuilleton, dans le magazine Collier’s Weekly, du 27 janvier au 2 avril 1898.

Plus qu’une recette à suivre, Le Tour d’écrou sert à Mike Flanagan de phare dans une traversée jalonnée de références à d’autres œuvres d’Henry James, telles que La romance de quelques vieilles robes (1868), Le coin plaisant (1908) ou Le motif dans le tapis (1896). Comme The Haunting of Hill House, qui transposait le récit de Shirley Jackson de nos jours, The Haunting of Bly Manor resitue celui d’Henry James à la fin des années 80, et joue avec sa propre historiographie en replaçant sur l’échiquier les acteurs de la première saison, auxquels s’ajoutent de nouvelles têtes. C’est ainsi que Victoria Pedretti, qui interprétait Nell, la jeune sœur suicidaire de Hill House, incarne ici Dani, une au-pair américaine qui semble fuir un passé douloureux en acceptant un poste d’enseignante au manoir de Bly, en Angleterre. Nourrie-logée-blanchie au fin fond de la campagne britannique, Dani doit s’occuper de deux enfants, Flora et Miles, entourée des autres employés, Mrs Grose la gouvernante, Owen le cuisinier, et Jamie la jardinière. Mais sournoisement, comme de l’eau qui bout à feu doux, les phénomènes étranges se multiplient et l’atmosphère devient de plus en plus irrespirable.

« La peur que procure Bly Manor n’est pas immédiate […] Ce n’est que quelques heures plus tard, au fond de notre lit, qu’elle nous saisit. »

Dans The Haunting of…, la peur n’est souvent qu’un prétexte. Hill House nous avait laissés au bord de l’infarctus avec son cache-cache de fantômes et ses nombreux jump-scare (l’épisode 8, la voiture, bouh… Ça va, remis?), mais fonctionnait aussi comme une catharsis sur le thème du deuil et du chagrin. Dans ses premiers épisodes, Bly Manor installe une ambiance similaire, à coup de plans cadrés trop larges, qui s’attardent un peu trop longtemps, pour nous laisser entrevoir des mouvements succincts mais flippants. Mais elle vire ensuite à 90° pour prendre le chemin d’une construction plus expérimentale, plus risquée aussi, et finalement plus profonde et plus émouvante encore. Comme Hill House et son mémorable épisode en plan-séquence, Bly Manor s’offre un tour de force visuel dans le cinquième épisode, qu’il serait dommage de dévoiler… Mais si cette saison 2 tente, ose et vibre très fort, c’est toujours en parfaite adéquation avec son sujet.

Ce sujet, celui que Mike Flanagan ne se lasse pas d’explorer, c’est celui des fantômes, qui sont évidemment les nôtres. Que sont-ils ? De quoi sont-ils faits ? Ici, plus que des âmes en peine, ce qui subsiste de nous ce sont nos sentiments. Dans une lignée fictionnelle récente qui pourrait aller d’Interstellar à A Ghost Story, The Haunting of Bly Manor s’intéresse aux émotions qui survivent à l’œuvre du temps. Tout s’oublie, tout passe, et pourtant ce que nous avons ressenti traverse les âges, modifie la gravité des corps et des esprits, contamine le vivant… Les souvenirs deviennent soit un refuge, soit un purgatoire cruel dont on aimerait s’extirper pour continuer à vivre. Et notre existence, nos choix, nos actes, nos pensées, sont comme autant d’histoires éternelles que l’on ressasse ad libitum ou ad nauseam, c’est selon. Face à la spirale du temps, la peur que procure Bly Manor n’est pas immédiate. Ce n’est que quelques heures plus tard, au fond de notre lit, qu’elle nous saisit et nous plonge en plein memento mori, à contempler malgré nous notre finitude et à nous questionner sur l’après : que restera-t-il de moi ? On ne vous garantit pas une bonne nuit.

The Haunting of Bly Manor, disponible sur Netflix.

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