Stateless
Sans nuance

Inspirée d’une histoire vraie, Stateless lève le voile sur les « camps de la honte » australiens, où sont parqués des milliers de migrants. Une série hautement politique, plombée par une narration expéditive et superficielle. Dommage.

Par Quentin Moyon

Temps de lecture 5 min

Stateless

Bande Annonce

À l’origine, une histoire vraie : celle de Cornelia Rau, une citoyenne allemande installée en Australie, qui, malgré son permis de séjour permanent, fut détenue illégalement pendant 10 mois dans un centre de détention pour immigrés, entre 2004 et 2005. Co-créée par la star australienne Cate Blanchett et ses compatriotes Elise McCredie et Tony Ayres, et présentée à la dernière Berlinale, Stateless s’inspire librement de ce dossier sensible pour appuyer là où ça fait mal.

Du cas Cornelia Rau, la minisérie tire quatre destins d’hommes et de femmes aux profils radicalement différents, dont les trajectoires montées en parallèle finiront pourtant par se croiser derrières les barbelés. Yvonne Strahovski (The Handmaid’s Tale) joue Sofie Werner, une hôtesse de l’air qui, après avoir échappé à une secte menée par le couple Masters (Cate Blanchett et Dominic West), se retrouve absurdement retenue dans le camp de Barton. On fait également la connaissance d’Ameer (Fayssal Bazzi), un immigré afghan qui a bravé vents et marées pour que sa famille puisse traverser l’océan ; de Cam Sandford (Jai Courtney), un gardien novice qui va voir ses codes moraux remis en cause alors que sa sœur défend la cause des migrants ; et de Clare Kowitz (Asher Keddie), la directrice de la prison, qui doit gérer la rébellion de certains détenus et l’attention médiatique qui va avec.

« Empêtrés dans ces portraits unidimensionnels et trop vite expédiés, les acteurs compensent en surjouant »

Le cinquième personnage de Stateless, c’est le service de l’immigration lui-même, dont la série dresse un état des lieux. À travers les histoires plurielles de ces personnages de fiction, toutes les facettes de la machine légale et juridique sont illustrées, ainsi que son impact sur la vie des individus. Il y a ceux qui y travaillent et voient leur humanité disparaître, ou au contraire s’affirmer ; ceux qui y sont enfermés et tentent de s’en sortir coûte que coûte ; les politiques qui le protègent ; les journalistes qui cherchent à le dénoncer… Le camp de détention est présenté comme un écosystème à lui tout seul. L’idée est belle, mais les six épisodes de Stateless sont un peu courts et mal fagotés pour lui faire justice.

Car si le choix narratif des destins croisés permet de donner une vision panoramique d’un sujet de société – en l’occurrence une politique inhumaine d’immigration menée au cœur d’un pays développé –, cette approche se fait ici au détriment de la profondeur des personnages, le plus souvent réduits à leur fonction. Distribués de façon manichéenne, entre gentils héros et grands méchants, les rôles, et les relations qui se nouent, ont du mal à dépasser le stade de la caricature. Empêtrés dans ces portraits unidimensionnels et trop vite expédiés, les acteurs compensent en surjouant. Et une faille se creusent entre le personnage de Sophie, le mieux servie par le scénario, et les autres protagonistes (on remarquera que le réfugié afghan est le seul à ne pas avoir de nom de famille), compromettant la réussite même d’un projet qui prétend mettre tout le monde sur un pied d’égalité.

Jeu des apparences, collusion avec les médias, fonctionnement du système des lanceurs d’alerte… Comme les personnages, les thèmes de la série, aussi passionnants soient-ils, restent survolés. Plutôt que de cocher machinalement toutes les cases du drama politique engagé en six épisodes emballé c’est pesé, comme ont tendance à le faire pas mal de séries Netflix en ce moment, on aurait préféré que Stateless prennent le temps d’aller au fond des choses et de donner vie à de vrais personnages. Elle aurait, alors, décuplé la force de son irréprochable message.

Stateless, à partir du 08 juillet sur Netflix

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