Possessions
La mariée était en rouge

Nouvelle création de Shahar Magen (Sirènes), Possessions nous entraîne dans le désert israélien pour une histoire d’abus familial qui s’aventure dans le fantastique. Avant son lancement le 2 novembre, sa co-scénariste Valérie Zenatti et son réalisateur Thomas Vincent nous parle de cette série politique et mystique.

Par Perrine Quennesson

Temps de lecture 5 min

Possessions

Bande-Annonce

En Israël, au milieu du désert, une mariée, le jour de ses noces, ses vœux à peine prononcés, se retrouve veuve. Au moment de couper le gâteau, la lumière s’éteint un instant. Lorsqu’elle se rallume, la femme en blanc apparaît éclaboussée de rouge, un couteau ensanglanté entre les mains, son époux gisant au sol, égorgé. C’est l’ouverture choc de Possessions, la nouvelle création de l’auteur de Sirènes, co-écrite avec la romancière Valérie Zenatti. Tout indique que la jeune femme est coupable, si ce n’est ses yeux perdus et son cri désespéré vers la foule : « Que lui avez-vous fait ? ». Comme elle, on meurt évidemment de savoir qui a fait quoi. Mais Possessions est bien plus qu’un whodunit à la Agatha Christie. C’est plutôt, comme le décrit son réalisateur Thomas Vincent, un « western polanskien », où l’intime et le fantastique se mélangent avec les contradictions d’une terre originelle – Israël, le pays de Shahar Magen.

« Shahar Magen vit dans une réalité quotidienne très tendue, très politisée. Comme d’autres créateurs israéliens, il a besoin de s’échapper de cette réalité par la fiction. Et sa fiction à lui passe par le conte cruel », nous éclaire la co-scénariste de la série Valérie Zenatti. Dans Sirènes, Shahar Magen opérait une relecture très contemporaine de la mythologie grecque. Dans Possessions, c’est dans la mythologie juive qu’il va puise son inspiration en convoquant la figure du Dibbouk, cet esprit qui habite le corps d’un individu auquel il reste attaché. Nathalie serait-elle possédée au sens littéral du terme ? Possible. Elle est surtout possédée par les croyances de sa famille. Des Français de confession juive expatriés en Israël dont la mère illuminée,  incroyablement jouée par Dominique Valadié, semble imprégnée au point de côtoyer la démence. La série traduit à la perfection les dérives de cette religion, à la fois bouée de sauvetage et prison, qui vient conditionner la façon de penser ou de vivre des femmes de la famille.

« L’héroïne de Possessions est ambiguë, insaisissable, immature et laisse son désir s’exprimer avant sa raison »

Ce qui se joue là, c’est une question de pouvoir. Comme l’indique le pluriel du titre, ce pouvoir prend des formes multiples, mais il n’a qu’un seul objet : le corps féminin. Au pouvoir religieux, qui apporte sa dose de mystique à cette histoire de crime, s’ajoute ainsi celui du regard masculin, qui observe, juge, critique, use le corps des femmes. Feu son époux, son beau-frère jaloux, un ex-amant fantomatique, son père dépassé, le policier et ses réflexes machistes ou un vice-consul français amoureux…  Tous ont un avis sur ce qu’est, doit être ou sera Nathalie. Pour compléter le tableau, pouvoir policier et pouvoir politique cherchent aussi à s’emparer de son corps, l’un pour le questionner et le culpabiliser ; l’autre pour s’en servir comme d’une monnaie d’échange. Seules les femmes – ses deux sœurs et une policière (excellente Noa Kooler) – opposent à la folie dominatrice une tentative de raison.

La violence qui s’exerce à l’encontre de Nathalie n’empêche pas la série de traiter le personnage dans toute sa complexité.  Incarnée avec fraîcheur et intensité par Nadia Tereszkiewicz (vue dans Seules les bêtes et Dix Pour Cent), l’héroïne de Possessions est ambiguë, insaisissable, immature et laisse son désir s’exprimer avant sa raison. À force de se cogner à ce pouvoir qui voudrait décider pour elle, elle a fini par l’intégrer, l’ingérer, le digérer, jusqu’à ce qu’il la possède définitivement. Il y a quelque chose d’une martyre dans ce personnage à la fois bourreau et victime, qui cherche à reprendre le contrôle.

Une connotation biblique décuplée par le lieu où se déroule la série, cet Israël torturé par les conflits, épicentre des religions monothéistes, où règne une atmosphère mystique, un mystère intemporel. « Pour aller sur le tournage, nous devions traverser le désert de Judée, raconte Thomas Vincent. Quand on se balade dans cet endroit, on croise tous les endroits de la Bible les uns après les autres. Ça se passe sur 50 km², et il y a tout. C’est une sorte de nombril du monde. Le lien entre le destin de ce personnage et cette terre-là a une force fictionnelle et poétique énorme. » Pour le meilleur et pour le pire.

Possessions, à partir du 2 novembre sur Canal +

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