Moloch
Tout feu, tout larme

Après Chefs sur France 2, Arnaud Malherbe et Marion Festraëts retournent sur Arte, où ils avaient déjà signé l’unitaire Belleville Story. Avec Moloch, le couple de créateurs livre une série incandescente, à la fois fantastique et sociale, à la combustion lente mais brillante. Ils reviennent avec nous sur la genèse de ce projet.

Par Perrine Quennesson

Temps de lecture 5 min

Moloch

Bande-Annonce

Un homme se laisse porter par un escalator vers la mort. Mais ça, il ne le sait pas encore. Soudain, il prend feu et s’écroule. Une torche humaine au milieu des quidams qui s’enfuient en hurlant. D’autres suivront. C’est sur cette image puissante que débute Moloch, la nouvelle série créée par Arnaud Malherbe et co-écrite par la scénariste Marion Festraëts, également sa compagne à la ville. Après Chefs, une première série écrite à quatre mains, ce couple d’anciens journalistes passés à la fiction a mis près de cinq ans pour arriver à porter à l’écran ce 6×55 minutes : « Au départ, je souhaitais faire une sorte de In Treatment fantastique, qui devait se passer uniquement dans un cabinet de psy, explique Arnaud Malherbe, le réalisateur du duo. Un thriller mental où tous les patients étaient liés, façon Ils étaient 10. Je me disais qu’il devait avoir tous commis quelque chose à l’extérieur de ce cabinet. Au fur et à mesure, cet extérieur a gagné de la place au point qu’il s’est mis à exister. »

Un extérieur bien particulier : celui d’une petite ville du bord de mer, plutôt nord que sud, mais non identifiable et indatable, comme, d’ailleurs, la plupart des intérieurs de la série. Tout dans Moloch est esthétique, soigné et travaillé pour mieux y perdre ses repères. Dans ce décor où règne l’imaginaire, qui évoque par moment Les Rivières Pourpres de Mathieu Kassovitz, ou même le chef d’œuvre de Nicolas Roeg Ne vous retournez pas, on rencontre Louise (Marine Vacth), une jeune journaliste ambitieuse mais terriblement solitaire, et Gabriel (Olivier Gourmet), un psy brisé qui aide les autres à se reconstruire. À eux deux, ils forment un couple d’enquêteurs mal assorti, dont l’inadéquation ne toucherait pas au comique mais à l’angoisse, celle que remue en eux l’arbitraire de ces morts par le feu.

Pourquoi ces personnes-là et pas les autres ? Comment ? Que signifie le mot Moloch tagué en grand sur l’une des scènes de crime ? Et qu’ont en eux Louise et Gabriel qui leur permette de comprendre, peut-être mieux que les autres, ce qui se joue là ? La série oscille entre le mystère le plus complet, épaissi par des personnages secondaires tous plus étranges les uns que les autres ; le spirituel, à travers l’évocation de la divinité vengeresse Moloch ; et le social, via le bruit de fond qui parcourt les épisodes, celui d’une révolte populaire qui gronde et qui monte.

« Dans Moloch, le paysage devient un espace mental, aussi tortueux et sombre que la pensée des personnages. »

Ainsi, dans Moloch, le paysage devient un espace mental, aussi tortueux et sombre que la pensée des personnages. Ces anti-héros représentent, chacun à leur façon, une perte de sens bien de notre époque. Louise, l’ancienne raveuse tentée par l’anarchie, devenue pigiste ambitieuse, oscille entre son attirance pour la marge et l’envie féroce de prendre sa place, quitte à s’affranchir des lois. Seule, affamée, revêche, elle incarne une jeunesse volontaire mais contrainte, qui, face au carcan qu’on lui impose, oscille entre le no future et l’envie de construire quelque chose, malgré tout. Quant à Gabriel, c’est l’homme de l’institution frappé par le deuil, et il devra cesser de se protéger derrière les règles pour parvenir à faire sortir la douleur qu’il n’arrive pas à exprimer, et qui le ronge. Tous deux sont empêchés de communiquer leur mal être par une société de l’apparence et de l’individualisme, qui isole les êtres. Des cocottes minutes au bord de l’implosion, à l’instar de l’ensemble des protagonistes, dont la flamme intérieure presque éteinte est ravivée par le feu vengeur de Moloch.

Le feu, c’est donc ce qui tue, mais aussi ce qui lave, et fait revenir à la vie. Longtemps après la vision de Moloch, l’image des torches humaines reste imprimée sur la rétine, terrifiante autant que fascinante, hypnotique, allant chercher en nous un étrange sentiment de déjà-vu. Comment cette vision s’est-elle imposée aux auteurs de la série ? Au début, ils ne savent plus trop, ça leur échappe. « Il y a un chemin que j’ai oublié avant de parvenir à cette idée d’In Treatment fantastique, cherche Arnaud Malherbe. Une raison précise pour laquelle l’évènement déclencheur était ces personnes en feu… » Et puis soudain, comme sur le divan du psychanalyste, ça revient. « Je sais !, s’exclame Marion Festraëts. C’était une exposition à Arles qui nous avait marqué, il y a plus de 5 ans ! Elle portait sur les personnes qui se sont immolées en signe protestation. Les employés de France Télécom, le vendeur ambulant tunisien qui a été l’étincelle des printemps arabes… C’était un geste fort, désespéré, visuellement frappant, à la portée sociale et à la colère immenses. » En retrouvant la clé de l’énigme, celle de leur inspiration initiale, les deux auteurs nous démontrent en live à quel point l’inconscient créatif est travaillé par les tourments du corps social. Cette rage sourde qui traverse Moloch en fait l’une des plus intéressantes expérimentations de cette rentrée sérielle.

Moloch, à partir du 22 octobre sur Arte et déjà disponible sur Arte.tv

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