«Je ne veux pas que vous pensiez à Janelle Monáe  la musicienne.»

La pop star succède à Julia Roberts à l’affiche de Homecoming, dont la deuxième saison
débarque le 22 mai sur Amazon Prime Video. Rencontre brève mais
intense avec une chanteuse devenue actrice à part entière.

Par Caroline Veunac

Temps de lecture 5 min

Homecoming
saison 2

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L’interview Zoom démarre et la voilà : Janelle Monáe  en personne, pop star de son état, demi-déesse qu’on n’aurait jamais imaginé voir apparaître comme ça, à la coule, sur notre écran d’ordinateur, avec notre vaisselle sale au second plan (merci le confinement). Coiffée d’un grand chapeau de paille, la chanteuse de Dirty Computer, son troisième et dernier album en date sorti en 2018, se prête virtuellement mais chaleureusement aux jeux des questions-réponses avec des journalistes du monde entier qu’elle appelle affectueusement « my love ». Le sujet de la discussion ? Son rôle dans la deuxième saison d’Homecoming, excellente série transposée du format podcast au format télé par le duo Micah Bloomberg-Eli Horowitz, avec l’aide du créateur de Mr Robot Sam Esmail. Un show aux frontières de la SF, petit descendant stylé de La Quatrième Dimension, qui ausculte sur le ton du thriller discrètement sarcastique la face cachée de l’Amérique corporate et du complexe militaro-industriel. Prenant le relais de Julia Roberts, prestigieuse passagère de la saison 1, Janelle Monáe  incarne Jackie, une vétérane qui se réveille dans une barque sur un lac sans aucun souvenir de qui elle est. Son enquête sur elle-même la ramènera à la très opaque Geist Corporation, autour de laquelle gravitent encore certaines figures de la saison précédente, Audrey Temple (Hong Chau) et Walter Cruz (Stephan James), et dont on découvrira même le big boss, incarné par Chris Cooper. Janelle Monáe , dont c’est déjà le sixième rôle dans des séries ou des films depuis ses débuts dans Moonlight en 2016 (on la reverra cet été dans le film d’horreur Antebellum), confirme une fois encore qu’elle n’est pas qu’une reine du R’n’B harmonique et psychédélique, mais aussi, et de plus en plus, une actrice sacrément charismatique. Studieuse, cinéphile et engagée, elle nous raconte comment elle s’est effacée derrière son personnage.

« Je vis dans un pays où le président n’écoute pas les scientifiques. »

Qu’est-ce qui vous a séduite dans le rôle de Jackie ?
J’avais adoré la première saison de Homecoming, que j’avais trouvé très innovante, avec ces épisodes brefs, le générique qui démarre alors que l’action est encore en cours… Et quand j’ai lu le scénario de la saison 2, avec cette fille qui se réveille dans une barque complètement amnésique, j’ai pensé à certains de mes films préférés, comme Memento. Par ailleurs j’aime beaucoup la SF. Je suis une grande fan de Black Mirror par exemple. De Matrix évidemment. De Metropolis, de La Quatrième Dimension, de Bienvenue à Gattaca… J’ai ma petite liste de favoris ! Et puis disons-le, il n’y a pas beaucoup d’héroïnes noires à la télévision encore aujourd’hui. En plus Jackie est militaire. Être une femme dans l’armée, cet environnement dominé par les hommes, c’est déjà un challenge en soi. Alors quand on est une femme noire… Jouer un personnage comme ça, c’est une opportunité précieuse.

Plus d’héroïnes noires, c’est davantage de possibilités d’identification pour des millions de jeunes femmes. Vous qui avez grandi dans les années 90, quelles ont été vos modèles ?
Les femmes qui m’ont élevée. Ma grand-mère, ma mère, mes tantes – j’en avais 15 en tenant compte des deux côtés de la famille ! Et 50 cousines, dont beaucoup étaient plus âgées que moi. Ça fait beaucoup de femmes noires fortes auxquelles s’identifier ! Elles m’ont toujours soutenue dans tout ce que j’entreprenais, la danse, le chant, le jeu. Elles ne manquaient jamais un seul de mes spectacles à l’école. Elles ont toujours été là.

Homecoming est un divertissement, mais on peut aussi y voir une critique de l’Amérique d’aujourd’hui. Comment interprétez-vous la dimension politique de la série ?
Cette deuxième saison dit beaucoup sur la santé mentale, et sur la manière dont on traite nos vétérans, ces personnes qui nous ont aidés à protéger notre pays. Quelles ressources leur offre-t-on, d’un point de vue économique, psychologique et spirituel ? La question de fond, c’est celle du capitalisme. Et ça, c’est tout à fait pertinent dans le monde actuel. Je vis dans un pays où le président n’écoute pas les scientifiques. En tant que citoyenne vigilante, dont les ancêtres ont bâti ce pays que j’aime, j’ai le sentiment que nous sommes dirigés par le capitalisme. Nous ne prenons plus les décisions au nom de l’humanité et de son bien-être, mais au nom de l’argent et pour servir l’intérêt de personnes qui sont prêtes à tout pour conserver leur position de pouvoir. La série parle de tout ça.

« La vulnérabilité EST une force, trop sous-estimée. « 

Jackie a perdu la mémoire, comme si elle avait été privée de son identité même. L’amnésie est une belle métaphore… mais ça ne doit pas être simple à jouer !
On ne peut pas jouer quelqu’un qui a perdu la mémoire. On est obligé de le vivre vraiment de l’intérieur. J’ai fait beaucoup de recherches sur l’amnésie, j’ai revu tous les Jason Bourne… Et puis j’ai passé beaucoup de temps à justement ne pas essayer de ressembler à quelqu’un qui a perdu la mémoire et qui est en train de se demander ce qui lui arrive, parce que ça c’est un cliché, et je voulais trouver quelque chose de plus nuancé. Ce que j’ai trouvé, c’est de travailler sur l’écoute. Quand on ne se souvient pas qui on est, on est obligé d’écouter très attentivement les autres. Pour obtenir les informations dont on a besoin, mais aussi pour anticiper les intentions de ceux qui pourraient abuser de notre vulnérabilité. Au fond, j’ai essayé de ressembler à quelqu’un qui ne veut pas avoir l’air de quelqu’un qui a perdu la mémoire. Et ce qui est cool, c’est qu’on découvre la vérité au même rythme qu’elle.

Vous parlez de vulnérabilité, mais votre présence dans la série renvoie aussi une grande force, comme si Jackie était solide et fragile à la fois.
La vulnérabilité EST une force, trop sous-estimée. Quand je regarde mes actrices préférées, comme Viola Davis ou Kerry Washington, elles vont toutes puiser dans leur vulnérabilité, leurs propres insécurités, leurs propres traumas, pour construire quelque chose… En tant qu’artiste, je suis une plaie ouverte. À chaque fois que je vais me produire quelque part, que ce soit pour cette série ou pour un album, je pars toujours d’un endroit où je ne sais pas du tout ce que je fais. Et il faut que je m’abandonne à cet état. C’est la beauté de l’art, et c’est comme ça qu’à la fin, on a accès à ce qu’était authentiquement l’individu au moment où il a créé, à cet instant précis de son évolution.

Vous avez l’air très sérieuse, très impliquée dans votre travail d’actrice. Vous êtes une bonne élève, non ?
J’ai besoin d’imaginer la back story de chaque personnage que j’interprète, c’est important pour moi. Qu’est-ce qu’elle aime ? Quels obstacles intimes a-t-elle à dépasser ? Comment son enfance influe-t-elle sur ses décisions d’adulte ? Quels sont ses qualités, ses vices ? C’est un travail en profondeur. Je travaille pour réduire au maximum la part de Janelle dans mes personnages. Quand vous voyez cette femme à l’écran, je ne veux pas que vous pensiez à Janelle Monaé la musicienne, je veux que vous pensiez à Jackie, la vétérane qui se réveille dans une barque sans savoir qui elle est.

Homecoming saison 2, 10×30 mn, disponible le 22 mai sur Amazon Prime Video.

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