Fleabag saison 2 – Girl and The City

Centrée sur la romance de l’héroïne avec un prêtre,
la deuxième et dernière saison de Fleabag confirme
le talent hors norme de sa créatrice et interprète, Phoebe Waller-Bridge.

 Par Caroline Veunac

Temps de lecture 4 min.

Fleabag saison 2

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Si vous n’avez jamais rien vu de Fleabag, procurez-vous la première saison sur le champ et revenez lire cet article dans trois heures. Car oui, il suffit de 6 fois trente minutes pour devenir accro à cette série dont voici déjà la deuxième, et malheureusement dernière, livraison. Avant même de plonger, vous êtes donc prévenu.e : le sevrage sera rude, et c’est pour bientôt. Si l’on contrevient à tous les principes intellectuels, sanitaires et sociaux en comparant la tragi-comédie de Phoebe Waller-Bridge à de l’héroïne de très bonne qualité, ce n’est pas pour alimenter le cliché douteux selon lequel les séries seraient dangereuses pour la santé.

Fleabag écrit
et filme le désir,
féminin puis masculin,

Non, c’est plutôt qu’il y a résolument quelque chose de no future dans la volupté que procure ce selfie douloureusement comique d’une Londonienne irrécupérablement cassée. Dans la famille des autoportraits de filles modernes nés dans le sillage de Girls, Fleabag est à la fois le plus dur, le plus bref, le plus incandescent.

Dans la saison 1, on faisait la connaissance de Fleabag (Sac à puce), petit nom pas très flatteur d’une grande gigue au cœur verrouillé, trentenaire abusant du sarcasme et du sexe compulsif pour tenir la violence des affects à distance. Partant de ce constat tristouille, et pourtant drôlissime sous la plume et dans la bouche irrévérencieuse de Waller-Bridge, nombre de séries plus tendres auraient laissé pointer un happy end au bout du chemin de croix. Pas Fleabag, et c’est là que commence la partie spoiler de ce papier. S’il y a bien un semblant d’éclaircie sur l’horizon, l’Anglaise ne dévie pas de sa veine cruelle et limite masochiste. En d’autres territoires, on aurait râlé de cette lucidité excessive et réclamé un peu plus de joie, même légèrement manufacturée. Mais le regard est si perçant, l’écriture à ce point sidérante, que le kif de les voir dessiner au laser le contour de nos solitudes urbaines et post-romantiques l’emporte sur la frustration de ne pas avoir eu sa petite dose d’évasion.

«Il lui plaît, elle lui plaît, mais il est déjà pris par Dieu»

L’idée géniale de ces six nouveaux épisodes : mettre un prêtre catholique dans le collimateur sentimental de Fleabag. Alors que la précédente laissait passer les amants pour se concentrer sur les rapports du joli vilain petit canard avec sa sœur psychorigide, sa méchante belle-mère et son papa évasif, cette nouvelle saison fait l’inverse. Désormais plantés, et toujours substantiels, les rapports familiaux cèdent le devant de la scène à une love story mal partie avec un ecclésiastique au charme canaille (divin Andrew Scott). Cet argument de rom-com – il lui plaît, elle lui plaît, mais il est déjà pris par Dieu – marche à tous les niveaux. Érotiquement, l’excitation du will they/ won’t they, décuplée par le port de la soutane et les rendez-vous au confessionnal, fonctionne à plein. Déprimée peut-être, mais oh combien sexy, Fleabag écrit et filme le désir, féminin puis masculin, avec un mélange de sophistication et de crudité qui fait des nœuds au ventre en passant par la case cerveau.

Émotionnellement, glisser la question de la transcendance dans l’esprit nihiliste de cette punk de Fleabag oblige le personnage à quitter deux secondes sa posture de sale gosse sardonique pour mettre son cœur à nu. Quand l’un des principes de la série consiste à briser le quatrième mur (Fleabag s’adresse régulièrement à nous face caméra), cette saison retourne la convention en invitant son prêtre dans le dispositif, et la ficelle narrative se transforme en bouleversante illustration du retranchement affectif et du pouvoir de l’amour. Philosophiquement enfin, la série profite de son thème religieux pour poser deux-trois questions fondamentales sur l’amour charnel comme possible expression du divin.

Tout cela tambour battant, sans le moindre esprit de sérieux. Spirituelle dans tous les sens du terme, hilarante de perspicacité, ce caviar de série fait tenir sa grande profondeur dans un emballage compact et léger. Tous les niveaux de lecture culminent dans une scène d’amour sublime, l’une des plus belles de mémoire sérielle, qui capture avec une acuité épidermique ce moment où il devient humainement impossible, même quand les enjeux sont terrifiants, de ne pas se toucher. Le happy end n’est pas garanti, mais on aura au moins vécu quelque chose. N’hésitez pas, donc, replongez pour trois heures. Pour le sevrage, vous aurez le choix : attaquer le remake français de Fleabag, Mouche (avec Camille Cottin) actuellement sur Canal+ ; bifurquer vers Killing Eve, l’autre série créée par Waller-Bridge ; ou attendre le prochain James Bond, sur l’écriture duquel la it scénariste vient d’être convoquée par Daniel Craig en personne. Sacrée Phoebe !

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