Élections américaines
Les trois stratégies anti-Trump d’Hollywood

Les États-Unis sont en train d’élire leur 46e président. Que l’agent orange de la Maison Blanche quitte ou non le bureau ovale à l’issue du scrutin, cinéma et séries se seront démenés pour sauver l’Amérique du trumpisme. Retour sur une campagne fictionnelle en trois opérations clé.

Par Caroline Veunac

Temps de lecture 5 min.

1. L’UCHRONIE POUR RÉVEILLER LES CONSCIENCES

Le 4 novembre 2019, pile un an avant l’élection présidentielle, la nouvelle série de Damon Lindelof (Lost, The Leftovers), débarque sur les écrans américains. Adaptation très personnelle du fameux comics d’Alan Moore, Watchmen imagine un monde actuel fruit d’une histoire alternative, où les États-Unis auraient remporté la guerre du Viêt Nam. Mais alors que Robert Redford, devenu président, semble incarner la victoire culturelle de la gauche modérée (les super-héros ont été interdits en raison de leurs méthodes trop violentes), un groupe de suprémacistes blancs multiplie les attentats à l’encontre de la police et met à jour le persistance d’un racisme originel, larvé mais toujours endémique. Maniant à la fois la mise en scène d’épisodes traumatiques de l’histoire américaine réelle – la série s’ouvre sur une reconstitution du massacre de Tulsa en 1921, qui vit des habitants blancs de la ville d’Oklahoma s’en prendre à la population noire avec une brutalité inouïe – et une fantasmagorie pop incroyablement visionnaire (les policiers de Watchmen ont le bas du visage couvert de masques pour ne pas être identifiés), Lindelof livre un abstraction baroque de l’Amérique d’aujourd’hui et secoue vertement les consciences assoupies. Le racisme est un virus persistant, la circulation du fascisme s’accélère, une seule solution : être plus radical, injonction qu’il applique lui-même à son geste artistique en délivrant son œuvre la plus intraitable.

Imaginer un monde alternatif pour mieux faire le portrait du nôtre, c’est aussi l’option choisie en mars dernier par David Simon (The Wire, Treme) dans The Plot Against America, sa mini-série adaptée du roman de Philip Roth. Dans cette uchronie glaçante, on assiste, impuissants, à une version de l’histoire dans laquelle l’aviateur Charles Lindbergh aurait été élu président à la place de Roosevelt en 1941, signé un pacte de non-agression avec l’Allemagne nazie, et laissé se répandre dans la société américaine le poison de l’antisémitisme. À sept mois de l’élection présidentielle, le héraut de la fiction télé de gauche sait très bien ce qu’il fait. En déplaçant, dans une réalité fantasmée, la figure de Trump sur celle d’un autre populiste xénophobe, il veut ouvrir les yeux aux Américains : non, le locataire viriliste de la Maison Blanche n’est pas en train de rendre l’Amérique « great again », mais au contraire d’en trahir l’idéal démocratique originel en dépliant un programme de haine qui légitime les suprémacistes blancs, fait flamber le racisme et la violence… Et divise profondément la nation.

Watchmen, en France sur OCS
The Plot Against America, en France sur OCS

2. LA SATIRE POUR RIDICULISER L’ENNEMI

Avant même sa prise de fonction en janvier 2017, l’invraisemblable Trump, sa mèche platine, son teint carotte, sa bouche en cul-de-poule, son vocabulaire rudimentaire, sa culture générale approximative et son agressivité verbale déchaînent l’inspiration des humoristes. Dès 2016, la plateforme française Blackpills lance à titre préventif You Got Trumped, une web-série parodique qui imagine à quoi ressembleraient les cent premiers jours à la Maison Blanche du candidat républicain, campé par l’acteur John Di Domenico. L’initiative n’empêchera pas le pire d’arriver, mais une fois Trump au pouvoir, le singer devient un sport national, et une arme somme toute assez efficace pour surligner le grotesque du personnage. Alec Baldwin s’en donne à cœur joie dans le Saturday Night Live, suivi sur le Web par une ribambelle d’imitateurs plus ou moins doués. On retient surtout les vidéos géniales de Sarah Cooper, devenues virales sur les réseaux sociaux : la comédienne y fait du lip sync sur des discours de Trump, tout en adoptant ses expressions faciales. Des mimiques qui semblent, sur le visage d’une femme racisée, d’autant plus absurdes et violentes.

Mais dans le registre de la satire conceptuelle, le clou du spectacle est assuré par Sacha Baron Cohen qui, à quinze jours de l’élection, balance son nouveau Borat comme une grenade dégoupillée. En mission kamikaze pour tourner le trumpisme en ridicule, l’acteur jusqu’au-boutiste y reprend le rôle du journaliste kazakh qui, au prétexte de vouloir offrir sa fille Tutar en offrande au Vice-Président Mike Pence, se frotte à tout ce que l’Amérique compte de rednecks dégénérés, de bourgeoises racistes et d’influenceuses anti-avortement. Mais l’offensive suprême intervient à la fin du film quand Tutar, se faisant passer pour une journaliste, piège le supporter de Trump Rudy Giuliani, qui, ignorant qu’il est filmé, se laisse aller à des gestes déplacés à son encontre dans une chambre d’hôtel. Que l’on adhère ou non à la méthode (plus que limite) de ce guet-apens, cette séquence embarrassante et le scandale qu’elle déclenche jettent le discrédit sur l’un des plus proches soutiens du candidat Trump.

You Got Trumped, disponible sur Youtube
Borat, Subsequent Moviefilm, en France sur Amazon Prime Video

3. LES COURS INTENSIFS POUR STIMULER L’ESPRIT CIVIQUE

Le plus fort, c’est que Sacha Baron Cohen n’a pas donné du sien que dans Borat. Le comique extrémiste a repris ses habits d’acteur tradi pour camper (brillamment) Abbie Hoffman, figure de proue de la contre-culture des années 60, dans le film d’Aaron Sorkin Les Sept de Chicago. Sortie le 16 octobre, à J-17, ce drame judiciaire revigorant revient sur le procès d’une poignée de militants de gauche et d’extrême-gauche accusés de conspiration et d’incitation à la révolte en 1968, procès qui deviendra celui, éminemment politique, de l’ordre établi versus la contre-culture. Un cours d’histoire de deux heures pour démontrer que la loi peut être appliquée à mauvais escient, pour réfléchir sur les divisions internes du camp démocrate et pour rappeler, en écho aux manifestations #BlackLivesMatter qui ont ponctué l’année, que le racisme institutionnel n’est pas un vieux souvenir (l’un des accusés des Sept de Chicago, le militant afro-américain Bobby Seale, est privé de défense et se retrouve littéralement muselé dans le tribunal parce qu’il a osé s’insurger).

La pédagogie version artillerie lourde : c’est en général la stratégie adoptée par les fictions U.S. dans la dernière ligne droite. Les spectateurs américains ont aussi eu droit à un cours de sciences politiques grâce à The Comey Rule (diffusée sur Showtime fin septembre, et à voir actuellement Canal + en France), mini-série qui revient en quatre épisodes sur le rôle de l’ex-directeur du FBI James Comey dans deux affaires, les mails d’Hillary Clinton et le noyautage de la campagne de Trump par la Russie, qui ont été décisives dans l’élection de 2016. Portée par le grand Jeff Daniels dans la peau de Comey, et par Brendan Gleeson suintant la vulgarité dans le rôle de Trump, cet exercice certes un peu scolaire a au moins le mérite de pointer le détournement des institutions américaines par l’administration Trump.

Parler de politique à quelques jours du scrutin, réfléchir aux valeurs communes, transformer les divisions en débats… En permettant cela, la fiction cherche, au fond, à donner envie aux indécis de participer à l’exercice de la démocratie. Votez ! Certains ne l’ont pas dit autrement, comme le cast de The West Wing, qui, 15 ans après la fin de la série d’Aaron Sorkin (toujours lui), s’est reformé pour rejouer sur scène un épisode de la saison 3, Hartsfield’s Landing, télédiffusé le 15 octobre sur HBO Max pour inciter le public à aller aux urnes. Mené par un Martin Sheen bon pied, bon œil, qui a repris le rôle du président Josiah Bartlet, parangon de la gouvernance éclairée, la troupe s’est adjointe les services de fantassins poids lourd (Bill Clinton, Samuel L. Jackson, Lin-Manuel Miranda…) pour diffuser la bonne parole citoyenne. Et pour ceux qui trouveraient ça un peu sentencieux, il y avait aussi Les Simpson… Dans son épisode d’Halloween, diffusé en primetime sur la chaîne grand public Fox, la série met en scène Lisa, qui persuade son bêta de père de mettre un bulletin dans l’urne, en lui dressant la liste des horreurs advenues durant les quatre années de la présidence Trump. Allez voter, donc. Enfin, vous savez pour qui…

Les Sept de Chicago, disponible sur Netflix
The Comey Rule, actuellement sur Canal +
The West Wing, disponible en intégralité sur MyCanal

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