Dix pour Cent (saison 4)
Fini de jouer

Dix Pour Cent revient ce mercredi sur France 2 avec une quatrième et dernière saison moins champagne, qui, en poussant les personnages dans leurs retranchements, fait écho aux inquiétudes de l’époque. Une veine plus noire, qui n’empêche pas la série de boucler la boucle en beauté.

Par Caroline Veunac

Temps de lecture 5 min

Dix pour Cent
(saison 4)

Bande-Annonce

« On n’a pas pu faire la fête ensemble, on est un peu tristoune. » Mi-octobre, venu parler de la quatrième et dernière saison de Dix Pour Cent au public du festival CanneSeries, Grégory Montel ne cache pas son humeur morose. Entouré de ses camarades Camille Cottin et Nicolas Maury, l’interprète de Gabriel, le gentil agent d’ASK, raconte comment l’arrivée du Covid a terni la fin de tournage de l’ultime épisode, laissant un goût d’inachevé à la bande visiblement très soudée de la série chorale. La réalité, comprendra-t-on après avoir découvert les six épisodes de ce dernier round, est à l’image de la fiction, et inversement.

Passée des mains de sa créatrice Fanny Herrero à celles de Victor Rodenbach et Vianney Lebasque, le duo de la série Les Grands, l’énergique comédie de bureau se drape en effet, sur la fin, d’un voile d’inquiétude et de mélancolie. Comme si le départ de sa showrunneuse, ajouté à la perspective d’une dernière ligne droite, avait rendu la série et ses interprètes un peu moins légers. À la rescousse, Nicolas Maury se lance dans une généreuse et très élégante tirade pour démêler les sentiments doux-amers qui ont présidé à la création de cet épilogue : « On était dans une fréquence, une langue signée Fanny Herrero. [Changer d’auteurs], ça a été comme une transplantation d’organe, donc forcément ça a saigné. Mais c’était aussi très ensemençant. Cette saison est plus noire, les destins des personnages deviennent très friables, et je ne suis pas sûr que Fanny aurait été par là… C’est assez classe finalement qu’une série sur la comédie du travail se termine sur ces questionnements-là. »

Ces questionnements, ce sont ceux des agents d’ASK confrontés aux limites de leur métier, mais aussi à travers eux ceux du cinéma tout entier qui s’interroge sur son avenir, et peut-être un peu les nôtres aussi, nous qui ne savons plus quand, pour qui, comment, ni à quoi travailler. L’intraitable Andréa parviendra-t-elle à concilier son ambition pro et son aspiration à l’apaisement d’un foyer ? La junior Camille montera-t-elle sa propre boîte de nouveaux talents ? Gabriel aiguisera-il ses quenottes pour passer chez l’ennemi ? Hervé prendra-t-il le risque de tourner le dos à la vie de bureau pour l’amour de l’art ? Noémie arrivera-t-elle à faire comprendre aux autres qu’elle n’est pas qu’une secrétaire énamourée ? Jean Reno alias le cinéma français tirera-t-il sa révérence ou mènera-t-il la fronde populaire dans un film à gros budget sur la Révolution ?

« Cette saison est plus noire, les destins des personnages deviennent très friables »

« Marre de ce cirque », s’énerve l’acteur, invité de l’épisode final, avant de claquer la porte d’un tournage laborieux. Incarné par l’habituelle brochette de guests qui se prêtent savoureusement au jeu de l’auto-dérision (Charlotte Gainsbourg, Franck Dubosc, Sandrine Kiberlain, José Garcia…), le petit milieu privilégié du cinéma français semble plus que jamais anachronique à l’époque des gilets jaunes et de l’urgence écologique ; le Septième art comme on l’aimait subit les assauts de Netflix et les dommages collatéraux d’un virus dont le spectre hante la série malgré elle… et grande est la tentation de tout envoyer balader pour aller faire autre chose, de plus simple, de plus minimaliste, ailleurs. Dans cette saison où ASK est mise à mal par la concurrence agressive d’une autre agence, Starmédia, menée par la grande méchante Elise Formain (Anne Marivin, jubilante), il n’est plus question de juste s’amuser des absurdités du star system, dont les agents sont les remparts. Une lucidité nouvelle est à l’œuvre, et pour tout dire, ça sent le sapin… Sauf que, sauf que, un autre mouvement se fait jour et traverse la série.

Car si cette quatrième saison à la plume grave, mais menée tambour battant par une troupe d’acteur.rice.s enflammé.e.s (double palme à Laure Calamy et Nicolas Maury, en état de grâce), fait caisse de résonnance aux tourments du monde comme il va, il en répercute aussi les énergies ascendantes. Côté guest, c’est Sigourney Weaver, conviée en grandes pompes dans l’épisode 5, qui porte depuis Hollywood la revendication, pour une actrice d’un certain âge, de pouvoir jouer l’amour avec un partenaire plus jeune qu’elle. Côté bureau, c’est la prise de pouvoir des personnages de Camille et de Noémie qui raconte la fin du patriarcat incarné par Mathias, le patron historique d’ASK, père de l’une et boss devenu compagnon de l’autre. Doucement convaincu par les deux femmes de sa vie de rendre les armes et de leur laisser le volant, le dominateur vieillissant trouve ça « très reposant ». Ça n’a l’air de rien, mais c’est en réalité beaucoup de redistribuer ainsi les cartes dans une fiction grand public vue par plus de 4 millions de téléspectateur.rice.s. Et même si ce n’est pas surprenant de la part d’une série qui met depuis toujours aux avant-postes deux personnages LGBTQ, Andréa et Hervé, on se réjouit de la voir accomplir sa promesse jusqu’au bout.

À la manière de Mad Men, sa grande matrice, dont elle s’est notamment approprié l’art de mettre en scène l’espace du lieu de travail, Dix Pour Cent s’achève par une fin qui est aussi un commencement. Andréa appelle ça « couler avec panache ». Et quand on y pense, ce n’est pas si tristoune que ça.

Dix Pour Cent, saison 4, à partir du 21 octobre sur France 2.

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