Raphaël Jacoulot & Jalil Lespert (L’Enfant rêvé)

« Parler du désir d’enfant du point de vue d’un homme, c’est assez rare. »

Dans son quatrième long-métrage, L’Enfant rêvé, Raphaël Jacoulot utilise les codes du thriller pour raconter l’obsession du patron d’une scierie pour la paternité. Dans les décors du Jura, Jalil Lespert campe avec fièvre cet homme normal rendu fou par le désir d’enfant. Le réalisateur et son acteur ont répondu à nos questions.

Interview : Caroline Veunac

Temps de lecture 10 min

Pouvez-vous nous raconter l’histoire de L’Enfant rêvé ?

Raphaël Jacoulot : C’est l’histoire de François, qui a repris l’entreprise familiale avec sa femme Noémie (ndlr : Mélanie Doutey). Il espère avoir une famille à son tour, des enfants, il n’y parvient pas et c’est très douloureux. Il va rencontrer un autre couple qui s’installe dans le village, il va tomber très amoureux de la femme, Patricia (ndlr : Louise Bourgoin), et un enfant va naître de leur passion.

Jalil Lespert : C’est aussi l’histoire d’un homme qui ne s’est pas déterminé en tant qu’homme. À travers cette histoire d’amour, et surtout cette paternité inattendue, il va enfin se trouver enfin, et s’accepter peut-être.

Pensez-vous que la trajectoire singulière de François a quelque chose d’universel ?

R.J. : Bien sûr que la question du désir d’enfant, de la paternité, de la transmission, ce sont des thèmes universels. La question du désir d’enfant touche les gens, qu’on ait eu envie ou non d’en avoir. Je trouvais ça intéressant de confronter cet homme à la question « pourquoi vous voulez avoir un enfant ? ». En voyant le film, les spectateurs se confrontent eux-mêmes à cette question.

J.L. : Il y a deux aspects dans le film qui sont universels. D’abord la question du déterminisme, social, familial, culturel, cette notion d’enfermement dont on est tous plus ou moins victimes. Et puis il y a aussi quelque chose qui est partagé par beaucoup de gens, c’est le rapport à la parentalité, à l’adoption, à la PMA. Même si le film flirte avec le cinéma de genre, le thriller, la tragédie assumée, il y a des échos du réel.

Justement Raphaël, cherchiez-vous délibérément à vous inscrire dans une histoire du film de genre ?

R.J. : La question du genre m’intéresse particulièrement, et en tant que réalisateur je me tourne forcément vers des cinéastes et des films que j’admire, comme Truffaut et La Femme d’à côté, qui ont été très présents dans l’écriture du film. Mais les références, même si c’est bien d’en avoir, il faut s’en éloigner pour trouver sa propre vérité.

Qu’elle est-elle, justement, cette vérité qui n’appartient qu’à vous ?

R.J. : J’ai l’impression qu’elle est déjà dans le sujet, parler du désir d’enfant du point de vue d’un homme. C’est quelque chose qui me paraissait assez rare. Et comme je l’ai abordé à travers des éléments personnels, liés à ma propre histoire, je crois que c’est moi qui existe vraiment dans le film. J’ai grandi dans un lieu très rural, dans la région où on a tourné, je suis fils d’agriculteurs, et j’ai été élevé dans une ferme où il y avait aussi des enjeux de transmission entre père et fils.

« La question du désir d’enfant touche les gens, qu’on ait eu envie ou non d’en avoir. »

Au-delà du besoin intime, le désir d’enfant de François semble lié à la responsabilité qu’il pense à voir vis-à-vis de sa lignée…

J.L . : Oui, il y a le poids de la tradition. François projette sur cet enfant son idée de l’éducation, ses rêves de l’emmener dans la forêt, de lui faire découvrir les arbres, quelque chose que son père a probablement fait avec lui, et son grand-père avec son père… Est-ce que c’est vraiment ce qu’il veut faire avec son enfant, j’en suis moins sûr. Il a une espèce de vision idyllique de la paternité et en ça il se trompe. Il a fait de lui-même un fils idéal, un mari idéal, un gendre idéal, un patron idéal, c’est un bon gars, solide en apparence, et puis quelque chose va se produire qui va le mettre au bord de l’abîme, car il n’avait jamais imaginé que les choses pouvaient ne pas suivre leur cours. Il n’a pas les armes pour trouver son propre chemin, et c’est ça qui me touche beaucoup chez lui. Il va faire des choses terribles, et sans l’excuser on comprend que s’il en est arrivé là, c’est surtout parce qu’il est un enfant qui n’est pas devenu autonome.

Cette passion amoureuse qui le fait basculer, est-ce une illusion ?

R.J. : Il y a dans sa rencontre avec Patricia une espèce d’embrasement, de fièvre des sens, parce qu’il y a quelque chose qui s’est abîmé avec sa femme après toutes ces années de PMA. Mais j’ai quand même l’impression que la grande histoire d’amour c’est avec sa femme, Noémie. Toute l’histoire avec Patricia est plus de l’ordre du fantasme, de la projection, et quand l’enfant arrive il est démuni parce que ce n’est pas là où ça devait se passer.

Comment les sentiments des personnages s’incarnent-ils dans le paysage, qui fait partie intégrante du récit ? 

J.L. : Raphaël a une façon de poser son regard sur cette nature qui n’est pas que dans la joliesse. La nature accompagne l’histoire de François. Dans les scènes d’amour avec Patricia, quand ils font l’amour dans la clairière ou quand il apprend qu’il va être père, on est comme au jardin d’Éden, il y a quelque chose de très solaire. Et puis progressivement la forêt devient un enfermement, quand François est avec le bébé, dans un état quasi-second, la nature devient inquiétante. Pour lui, c’est à la fois un refuge et un piège. On a joué sur toutes ces nuances. C’est le même décor, mais il est très différent d’une scène à l’autre, c’est ça qui est très étonnant.

R.J. : L’histoire de François et de sa famille s’inscrit dans la forêt, les arbres qui sont coupés, replantés, et ça recommence… Il y a une histoire sans fin dans le fait de transformer une forêt et de la régénérer. J’aimais aussi le motif de la scierie, qui est quand même un endroit dangereux, qui coupe, mais sans vouloir faire de violence à l’arbre. C’est un peu ça le rapport de François à son propre père… On s’inscrit dans une histoire familiale et on ne se rend pas compte qu’on ne laisse pas le choix à son enfant. À un moment, François s’appuie contre un arbre et c’est comme si son corps se fondait dans l’arbre. Je voulais montrer à quel point c’est difficile pour lui de quitter son milieu, et comment il est déchiré.

L’Enfant rêvé, actuellement au cinéma.

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