Interview : Linh-Dan Pham

Rencontre avec l’actrice à l’affiche du premier film d’Abdel Raouf Dafri,
qui explore les ravages de la guerre d’Algérie.

Par Paola Dicelli

Temps de lecture 5 min.

Qu’un sang impur…

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Depuis R.A.S ou Le Pistonné au début des années 70, y a eu peu de films marquants sur la Guerre d’Algérie, sinon ceux retraçant la difficulté de l’exil. Pour son premier long-métrage en tant que réalisateur (il était auparavant scénariste, notamment d’Un Prophète de Jacques Audiard, ndrl) Abdel Raouf Dafri propose un film de guerre violent et désespéré. Plaçant son action en 1960, à la toute fin de la guerre qui ne dit pas son nom, il montre, sans jamais prendre parti, les exactions des deux camps. Et c’est cette absence de méchants et de gentils, qui fait la force de ce film qui lorgne vers Apocalypse Now, Les 12 salopards et La 317e Section. Le commando Français disparate est emmené par le colonel Breitner, un ancien officier allemand de seconde guerre mondial ayant servi en Indochine, à ses côtés Soua-Ly Yang, originaire de la minorité Hmong pro-française, incarnée par Linh-Dan Pham que nous avons rencontré à Londres, en plein cœur du quartier branché de Soho. Meilleur espoir féminin pour De Battre mon Coeur s’est arrêté de Jacques Audiard, elle arrive avec un grand sourire, les cheveux très courts pour son prochain film. Dans ce bar sélect où l’on ne rentre que sur invitation, l’actrice choisit chacun de ses mots, pour être la plus exacte possible. Un héritage de sa culture asiatique, laisse-t-elle entendre, bien qu’elle se sente avant tout Française. Entre humilité et détermination, Linh-Dan Pham nous parle de son rôle, de sa carrière, et de la place des minorités dans le cinéma français.

Pendant longtemps, on a volontairement oublié qu’il y avait eu des femmes combattantes.

SomewhereElse : Comment avez-vous travaillé ce personnage d’ancienne combattante de la guerre d’Indochine, qui reprend les armes pour la guerre d’Algérie ?

Linh-Dan Pham : En Indochine ou en Algérie, Soua-Ly Yang est une femme qui se bat pour sa survie. C’est un personnage assez mutique, qui parle seulement pour dire l’essentiel. Comme tout devait passer par le corps pour faire ressortir son côté primal, j’ai pris des cours de Krav-Maga, la technique la plus abordable pour une débutante. J’ai aussi suivi un training d’armes à feu, afin de ne pas sursauter à chaque fois que j’entendais un tir !

 L’universalité de la violence semble être le thème de votre nouveau film…

Absolument. Je dirai même qu’il souligne d’absurdité de la guerre. Durant chaque conflit, en Indochine, en Algérie, au Vietnam pour les américains, il y a toujours eu un moment où l’un des deux camps savait qu’il avait échoué. Pourtant, il continuait à envoyer des hommes, qui mouraient pour une cause déjà perdue. Ça n’a pas de sens.

 Dans Indochine (1992), vous incarniez une princesse Vietnamienne assez réservée. Vingt-sept ans plus tard, vous incarnez une combattante. Est-ce que vous êtes consciente de cette évolution ?

Oui, mais ce n’est pas tant dû à mon évolution personnelle qu’à l’évolution de la société. À l’époque d’Indochine, on n’aurait jamais pu voir une princesse vietnamienne guerrière car pendant longtemps, on a volontairement oublié qu’il y avait eu des femmes combattantes. Aujourd’hui, ça tend à changer, avec le film Soeurs d’Armes de Caroline Fourest (2019), ou qu’Un Sang Impur, qui, en plus, est réalisé par un homme !

Même difficulté pour les minorités. Aux USA, les actrices asiatiques, victimes de discrimination, commencent à faire entendre leurs voix. Qu’en est-il en France selon vous ?

Pour les actrices asiatiques, le problème n’est, à mon sens, pas la France. Même si certaines propositions étaient un peu clichées, on m’a toujours offert des rôles en tant que femme, et non comme Vietnamienne. J’ai quand même joué des personnages qui s’appelaient Brigitte ou Camille ! Le souci vient plutôt de la culture asiatique, dans laquelle il n’est pas encore très bien vu de choisir une carrière artistique. Il faut que les parents évoluent sur ce terrain-là.

 D’ailleurs, après Indochine et une nomination aux Césars, vous avez fait une pause de dix ans dans votre carrière. Un choix délibéré ?

Oui, en un sens. J’avais dix-sept ans et j’étais jeune. Pour moi, c’était comme une colonie de vacances. Mes parents voulaient que je retourne à mes études, ce que j’ai fait. Je suis partie au Vietnam, mais, toujours, des directeurs de casting ont cherché à me contacter. Finalement, je suis allée faire l’Actor’s Studio à New York et on m’a appelé peu après pour De Battre mon coeur s’est arrêté !

 Vous avez une carrière éclectique, passant de comédie (Tout ce qui brille) à des films de SF ou auteurs, qu’est-ce que vous aimez dans cette diversité ?

C’est un défi à chaque fois. Curieusement, on me voit souvent dans des drames, alors que je pense être rigolote, et pas dans des rôles très physiques ! Ça m’attriste, donc j’essaye d’y remédier. Quand on m’a proposé ce personnage fort pour qu’Un Sang Impur, j’ai pu assouvir ce désir ! Mais, je n’ai pas de plan de carrière, je fonctionne surtout à l’instinct. C’est avant tout une aventure humaine.

 Quels sont vos projets ?

La saison 2 de la série Mytho sur Arte, et, je l’espère, celle de « Faites des gosses » sur France 2, qui m’offre un très joli personnage. Autrement, j’ai terminé le tournage du nouveau film de Justin Chon : « Blue Bayou », avec Alicia Vikander. L’histoire : un coréen-américain victime de discrimination, à qui ont dit de retourner dans son pays. J’y joue une américaine d’origine vietnamienne, qui va aider le héros. Elle a un cancer, c’est pour ça que j’ai les cheveux très courts !

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