Platane Saison 3 – Drôles de blagues

Eric Judor poursuit sa psychanalyse déconnante dans une troisième saison de Platane à la fois drôle et pas drôle, mais toujours volontairement… À moins que. Explications.

Par Caroline Veunac

Temps de lecture 5 min.

Platane – Saison 3

Bande Annonce

Rire ou ne pas rire ? Telle est la question de la saison 3 de Platane, et celle qui torture visiblement son créateur, Eric Judor. Ce troisième volet arrive six ans après le précédent : le temps pour l’acteur/ auteur/ réalisateur de convaincre Canal+ de remettre ça, après les audiences décevantes de la saison 2. Dans l’intervalle, Judor a essuyé l’échec commercial de La Tour 2 contrôle infernal, tentative ratée de renouer avec la baraka du duo Eric et Ramzy, et récolté le succès critique de son film en tant que réalisateur, Problemos, encensé par les Cahiers du cinéma. Comme s’il fallait choisir entre la reconnaissance artistique et la capacité de faire rire le plus grand nombre. Un dilemme plus que jamais présent dans cette nouvelle saison de Platane. Oublié du grand public, Eric Judor s’y retrouve face à un choix stratégique : pour reconquérir les foules, vaut-il mieux user de moyens frauduleux en toute mauvaise conscience, ou bien choisir l’honnêteté et se réconcilier avec soi-même ? Ce cas d’éthique structure la saison : après les habituels coups foireux, Eric Judor s’offre une épiphanie chamanique et prend un virage à 90 degrés en ambitionnant de créer « une grande série sur la bienveillance ». Moins par altruisme que parce qu’il a réalisé qu’en 2019, l’honnêteté pourrait bien être plus payante que la roublardise…  La question du personnage devient celle du créateur : la mise à nu d’Eric Judor dans Platane est-elle opportuniste ou sincère ? Le doute est brillamment entretenu. Captant en mode éponge l’influence des comiques anglo-saxons nombrilistes, de Larry David, son père spirituel, à Phoebe Waller-Bridge (Fleabag ), Judor ne fait aucun mystère de ses paradoxes, le principal étant qu’on ne sait jamais, avec lui, si l’on doit rire ou pas.

La série met brutalement son humour en question : ses gags de prouts ne font rire que lui, son racisme et son homophobie embarrassent tout le monde, les gens se marrent en sa présence mais pas à ses blagues, ou alors c’est lui qui ne sait plus dire si la personne en face de lui est sérieuse ou déconne. Parfois même, il n’arrive pas, physiquement, à sortir une vanne. On pourrait voir cet aveu d’impuissance humoristique comme un commentaire sur l’époque et les blagues qu’on ne peut plus se permettre… Mais l’autoportrait de Judor est moins celui d’un has been que celui d’un type qui, propulsé de la grosse popularité à la marge arty, ne sait plus trop où il habite.

Judor ne fait aucun mystère de ses paradoxes, le principal étant qu’on ne sait jamais, avec lui, si l’on doit rire ou pas.

Humour pipi-caca ou poésie absurdiste ? Cette hésitation faisait partie de l’ADN du duo Eric et Ramzy… pourtant Judor semble avoir plus de mal à l’assumer en solo. Le passage au format drama de 50 minutes signe la tentation de se poser là, et les intermèdes doux-amers font tendre Platane vers la comédie classieuse à la Master of None. Ce qui n’empêche pas de se vautrer dans l’humour bébête. Généreuse en guests (Florence Foresti, Jamel Debbouze, Elie Semoun…), la série charge les potes du métier de faire remarquer à Eric Judor son flou artistique. Tantôt trop premier degré, tantôt trop abstrait… Jamais à leur place, Judor et son double souffrent d’un complexe de l’imposteur carabiné, dont le scénario joue allégrement avec la complicité de Ramzy himself.

Au-delà de sa propre drôlerie, Eric Judor questionne la légitimité de son humour. Et si la dérision permanente n’était qu’un signe de son égoïsme crasse ? Si, en taillant son coloc « envahissant » ou sa petite amie « collante », il ne faisait que tenir les autres à distance ? Derrière l’égo-surdimensionné, un handicap affectif : Platane devient une sorte d’enquête identitaire, dont Judor s’amuse en imaginant un cross-over avec Le Bureau des légendes (Mathieu Kassovitz à l’appui). Intelligente et amusante, cette auto-analyse n’évite pas toujours l’autocomplaisance dans la lucidité. Platane est pleine de bonnes idées, mais peut-être lui manque-t-il une dose d’universalité pour atteindre le niveau de ses références. Quelque chose à dire à travers les états d’âme d’Eric Judor qui ne concerne pas exclusivement Eric Judor. Et qui rendrait son rire plus communicatif.

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