Morgane Baudin, fondatrice de Pixetik

« Le cinéma est un moyen de changer le monde. »

Historiquement dédiée au placement de produit responsable, Pixetik évolue depuis 2020 vers l’accompagnement des scénaristes, pour mieux intégrer les questions environnementales à leurs récits. Rencontre avec sa co-fondatrice, Morgane Baudin.

Interview : Caroline Veunac

8 novembre 2021

Temps de lecture 5 min

L’idée de départ ? Mettre en contact des producteurs de cinéma et des marques, pour favoriser le placement de produit éthique dans les films. Une gourde en inox plutôt qu’une bouteille d’eau, un costume made in France éco-responsable… Fondée en 2019 par Morgane Baudin et Camille Dijoud, deux jeunes productrices à la sensibilité écologique affûtée, Pixetik, qui est notamment intervenue sur les séries L’Effondrement (Canal +) et Derby Girl (France.tv Slash), voulait influencer nos pratiques en impactant nos imaginaires. Aujourd’hui, la star up sociale prend le problème à la racine en se recentrant sur des ateliers d’écriture, créés pour accompagner les scénaristes dans la fabrication de récits qui intègrent les enjeux climatiques, sans forcément verser dans le catastrophisme ambiant. Morgane Baudin nous en dit plus sur cette évolution.

D’où vient votre engagement en faveur de l’environnement ?

J’ai voulu être productrice parce qu’à mes yeux, c’était l’un des moyens les plus efficaces pour changer le monde. Ma conscience écologique a grandi notamment grâce au film Demain, que je suis allée voir trois fois ! Le cinéma permet aux gens de se mettre à la place d’autres personnes, c’est un vecteur d’empathie et de compréhension qui peut nous emmener plus loin que les débats, dans lesquels on est dans des positions qu’on ne veut pas quitter. Je m’apprêter à suivre le chemin normal pour devenir productrice, mais produire un film, surtout quand on débute, ça prend beaucoup de temps, il faut passer de nombreuses étapes avant de sortir un long-métrage qui pourra toucher beaucoup de gens. Et moi j’avais une urgence d’agir vite. Alors quand j’ai découvert l’éco-production, lors d’un Master en Angleterre, en 2016, ça m’a beaucoup parlé. Finalement, j’ai passé mon année là-bas à me former sur ces questions.

Et de retour en France ?

J’ai travaillé pour Ecoprod, pour le projet européen Green Screen, j’ai formé des gens à l’éco-production, c’est-à-dire aux moyens de réduire l’impact environnemental de l’audiovisuel, puisque c’est une industrie comme une autre. Mais ce qui m’avait attirée initialement vers le cinéma, c’est son incroyable capacité à changer le monde, et j’ai eu envie d’agir aussi sur les questions de contenu, sur les messages qu’on fait passer, les histoires que l’on raconte. Du coup, en parallèle de l’éco-production, j’ai monté Pixetik, une entreprise sociale dont la mission est d’inspirer un monde plus durable grâce à la fiction audiovisuelle.

Le placement de produit est considéré comme une ruse du capitalisme pour nous pousser à la consommation. Vous avez voulu en faire un vecteur de conscientisation écologique…  

Le placement de produit est un outil qui peut être bien ou mal utilisé, tout dépend de l’intention. J’ai voulu le mettre au service de nouvelles représentations du monde. Quand j’ai lancé Pixetik, la conscience écologique du secteur était encore peu développée, et le placement de produit éthique était le moyen qui me semblait le plus pertinent pour questionner ce que l’on met dans nos contenus. Une sorte de cheval de Troie pour aller parler aux producteurs et aux équipes des sujets environnementaux.

L’action écologique est souvent associée à une contrainte. Comment les professionnels du secteur vous ont-ils accueillie ?

Nous avons été bien accueillis parce que les producteurs et productrices ont vu ce que ça pouvait leur apporter. Le placement de produit éthique, c’est tout bénéf pour eux, puisque ça leur permet d’être conformes à leurs valeurs tout en leur rapportant de l’argent. On s’est rendu compte qu’il y avait une prise de conscience de plus en plus grande de la part du tout le secteur.

Et ça vous a donné envie d’aller plus loin…

Oui, parce qu’avec le placement de produit, on arrivait tard sur le film, on venait placer un seul produit… Or ce qui fait changer les représentations et les comportements, c’est la répétition. Il faut un grand volume de placements à impact positif subtil. Les grandes marques en ont conscience, et les gros films le font déjà. Le dernier James Bond par exemple intègre des placements de produits plus « éco-responsables », comme l’Aston Martin électrique. Je me suis dit qu’à notre échelle il valait mieux sensibiliser directement les acteurs de la filière aux enjeux climatiques, réfléchir avec eux aux représentations, avec la conviction que quand ils auraient intégré ça, les placements de produit responsables, ils les feraient d’eux-mêmes.

Dans quel sens Pixetik a-t-elle évoluée ?

Nous avons développé de nouvelles activités pour mieux servir notre mission. À la faveur du premier confinement, qui a bloqué les tournages et donc les placements de produit, nous avons monté un atelier d’écriture avec Calista Films, la société de production dans laquelle je suis associée. On nous dit que le futur va être terrible, et on ne nous offre aucune vision de ce vers quoi on pourrait aller à part l’effondrement. Même des fictions comme Years and Years, qui tentent des choses, reviennent à des futurs pas chouettes. L’idée avec cet atelier, c’était de créer un espace pour aider les scénaristes à écrire des futurs durables et désirables, et inclure la notion de durabilité dans leurs scénarios.

Ce type de démarche fait parfois craindre une moralisation des récits. Comment cet objectif s’accorde-t-il avec la liberté créative ?

Il ne s’agit pas d’imposer à tous les scénarios de parler d’écologie ou d’avoir des personnages écolos et végétaliens. L’idée, c’est juste de se poser certaines questions. Par exemple, pourquoi tel personnage-là mange autant viande ? Est-ce que c’est vraiment important pour l’histoire, ou est-ce que finalement, ça pourrait être autrement ? Dans les jeunes scénarios, on trouve souvent un manque de caractérisation des personnages et d’approfondissement des thèmes. En réfléchissant à ces enjeux, il s’agit aussi d’améliorer la qualité des scénarios.

Les scénaristes eux-mêmes sont-ils demandeurs, et repartent-ils réellement avec une approche différente de leur travail ?

Pour la première édition, en avril 2020, on a lancé les inscriptions et deux semaines après il y avait déjà 35 participants, beaucoup plus que ce qu’on imaginait ! L’idée, c’était de faire émerger des pitchs et de tester l’écriture collaborative, qui correspond à un besoin des scénaristes, qui font un métier très solitaire. On a vu des rencontres se créer entre des gens qui partagent des valeurs communes, qui initient ensemble d’autres projets après l’atelier.

Le prochain atelier organisé par Pixetik et Calista Films aura lieu au printemps 2022 (dates à venir)

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