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EN ATTENDANT WENDY…

Petite histoire de Peter Pan au cinéma

Somewhere Else et Dulac Cinémas unissent leur force pour vous proposer une sélection hebdomadaire de films, accompagnés d’animations pour nourrir votre projection. Cette semaine sur Somewhere Else, en attendant la sortie de Wendy, de Benh Zeitlin, on s’envole avec les adaptations au cinéma de Peter Pan, le conte qui ne prend pas une ride.

Par Quentin Moyon

Temps de lecture 10 min.

Peter Pan (Herbert Brenon, 1924)

Il était une fois la première adaptation cinématographique de Peter Pan. Très largement dépassée dans nos imaginaires par la version aseptisée de Disney, le Peter Pan de Herbert Brenon n’en reste pas moins la seule et unique participation de James Matthew Barrie, l’auteur de la pièce d’origine en 1904, à une adaptation pour le grand écran. Muet. En noir et blanc. Bourré d’effets spéciaux grotesques dont la magique apparition de Nana, ce chien/gouvernante incarné par un homme en costume… Le film a tout de la curiosité. Il est pourtant la pierre angulaire des futures adaptations, qui s’en éloigneront plus ou moins. Il pose d’abord les bases de la romance Peter-Wendy, complètement déséquilibrée puisque Wendy est prête à tout quitter pour Neverland, l’île de l’enfance éternelle, pour y suivre le rebelle Peter, ce garçon qui refuse de grandir, bloqué à l’âge où – dommage pour elle -, « les garçons n’aiment pas les filles ». Ce Peter Pan originel inaugure par ailleurs une relation fructueuse entre la culture du merveilleux et le cinéma hollywoodien, qui s’illustrera notamment en 1939 par Le Magicien d’Oz, et sera adoubée en 1953 par la version Disney de Peter Pan.

Peter Pan (Hamilton Luske, Wilfred Jackson et Clyde Geronimi, 1953)

Adaptation la plus connue de l’œuvre de J.M. Barrie, considérée comme l’un des chefs-d’œuvre du studio Disney, Peter Pan est pourtant très éloigné de l’œuvre de l’écrivain écossais. Le dessin-animé se construit comme un récit d’apprentissage tout ce qu’il y a de plus classique, en évacuant la romance ainsi que la noirceur propre aux contes, pourtant bien présente dans l’œuvre d’origine. La question de la construction identitaire de l’enfant en confrontation avec le monde des adultes (dans un ouvrage de 1983, le psychanalyste Dan Kiley formalisera le concept de « syndrome de Peter Pan » pour désigner l’angoisse du passage à l’âge adulte) y reste flottante. Mais le public est conquis, ce qui donnera au studio la mauvaise idée de tenter de doubler la mise cinquante ans plus tard, en 2002, avec Peter Pan 2, le retour au Pays Imaginaire. Cette suite dispensable, qui propulse Peter Pan en pleine Seconde Guerre Mondiale, entend questionner la confrontation de l’enfance à cette époque mortifère. Sans parvenir à se montrer convaincante.

Hook ou la revanche du Capitaine Crochet (Steven Spielberg, 1991)

Hook divise les générations cinéphiles : mal-aimé des spielbergiens de la première heure, qui lui reprochent sa laideur et sa guimauverie, le film a bercé l’enfance des natifs du milieu des années 80, qui lui trouvent un goût de Madeleine. Le parti-pris : chambouler l’histoire d’origine en donnant une suite au récit de Barrie. Peter (incarné par un Robin Williams bondissant) a quitté le Pays Imaginaire pour devenir adulte, prendre un job d’avocat des affaires et se marier… avec la petite-fille de Wendy (allô docteur Freud ?) ! Neverland a complètement disparu de son imaginaire… jusqu’à ce que le Capitaine « Dustin Hoffman » Crochet, en quête de vengeance, ne kidnappe ses enfants. Gwyneth Paltrow, Maggie Smith, Bob Hoskins, et Julia Roberts en fée Clochette : cette fresque toc-toc bada-boom truffée de stars n’est en effet pas ce qui se fait de plus léger dans le genre. Mais à la revoyure, le mélange un peu kitsch de comédie, de drame, de glam et d’effets spéciaux pas terribles a son charme.

Peter Pan (P.J. Hogan, 2003)

En 2003, le réalisateur australien de Muriel et du Mariage de mon meilleur ami s’attaque de nouveau à Peter Pan en misant sur un retour aux sources. Preuve de sa fidélité à l’œuvre de Barrie :  l’acteur Jason Isaacs y interprète à la fois le père de Wendy  George Darling et le Capitaine Crochet, comme dans la pièce d’origine. Portée par une imagerie et un esthétisme plutôt recherchés, l’œuvre assume son identité de conte sans totalement trouver sa singularité. Le film manque d’un réel supplément d’âme, mais on en retient quand même l’évolution du personnage de Wendy, joué par Rachel Hurd-Wood, qui gagne en profondeur et en modernité, annonçant l’avènement d’une époque plus féministe.

Pan (Joe Wright, 2015)

Directement inspiré de Peter Pan – pas le livre, pas les films, mais l’attraction de Disneyland, dans laquelle Peter Pan apprend à voler –, Joe Wright décide de donner un préquelle à l’œuvre de J.M. Barrie et d’agrandir encore l’univers déjà étendu par Spielberg. Peter Pan nous est ici présenté comme un orphelin captif des hommes de Barbe Noire (Hugh Jackman, génial dans ce rôle de méchant triste), en route vers le Pays Imaginaire pour y piller des mines de poudre de fée. Durant son périple, il fera la rencontre d’un certain James Crochet (Garett Hedlund), qui devient son ami, avant de perdre sa main dans le gosier d’un crocodile et de devenir son rival. Un peu pompier mais ambitieux, le film fait couler de l’encre pour avoir fait jouer un personnage de native par l’actrice blanche Rooney Mara. Cette fois, les temps ont vraiment changé.

Wendy (Benh Zeitlin, 2020)

Remarqué en 2012 pour son premier film, le magnifique Les Bêtes du Sud Sauvage, qui évoquait déjà le monde de l’enfance livrée à elle-même, Benh Zeitlin s’approprie d’une manière totalement originale la mythologie de Peter Pan. Et décide d’en finir une bonne fois pour toutes avec la phallocentrisme : le rôle fort, c’est celui de Wendy. C’est elle qui décidera de quitter son harassant quotidien, accompagnée de ses deux petites frères. C’est elle aussi qui fera le choix de se rendre sur l’île mystérieuse. Et c’est elle qui fera la rencontre de Peter Pan. Pas l’inverse. Le film, féministe par nature, redessine les rôles et les positions de genre dans les contes. Mais le plus marquant, c’est le réalisme avec lequel Benh Zeitlin traite cette histoire de communauté enfantine refusant le monde des adultes. La magie se manifeste ici moins dans le fantastique que dans l’allégorie, qui permet d’aborder d’une autre manière les thèmes de l’histoire, de la défense d’un idéal moral à la peur de grandir en passant par le refus du déterminisme. Une nouvelle lecture poétique et revigorante.

Wendy devrait sortir en salles courant 2021

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