Let them All Talk : La Croisière, sur MyCanal

Soderbergh, à la surface

Premier film d’une trilogie annoncée pour HBO Max, Let Them All Talk, le nouveau Soderbergh, est disponible en France sur Canal+. Sous ses atours de film-paquebot un peu ronflant, le retour au bercail du créateur de The Knick est un film à l’image de son cinéma : fuyant, imparfait, flottant et malin.

Par Julien Lada

Temps de lecture 5 min

Let them All Talk

Bande-Annonce

On avait laissé Steven Soderbergh dans le creux de son énième réinvention formelle, un peu englué dans une double collaboration avec Netflix qui nous avait donné le sympathique High Flying Bird, plongée sorkinienne dans les coulisses d’une NBA paralysée par une grève générale, et le nettement plus oubliable The Laundromat, émule lourdaud et maladroit de la comédie noire financière à la Adam McKay. Définitivement sevré du système de production traditionnel hollywoodien, le réalisateur d’Ocean’s Eleven a depuis choisi de changer de crèmerie et de revenir dans le giron de HBO. Après avoir signé pour la chaîne câblée le thriller sériel expérimental Mosaic avec Sharon Stone, et surtout la fantastique (et très crue) série médicale The Knick, Soderbergh s’est engagé pour trois films avec HBO Max, nouvel acteur majeur de la guerre de la SVOD outre-Atlantique. Quelques mois après son arrivée sur le service de la Warner, toujours inaccessible légalement en France, c’est via Canal+ que le premier de ces trois films, Let Them All Talk (La Grande Traversée), arrive dans nos foyers.

Pour ce premier volet de sa trilogie, Soderbergh revient à ses marottes actuelles en termes de dispositif filmique : tournage très resserré à l’iPhone, lumières naturelles, et une grande part laissée à l’improvisation dans l’action et les dialogues. Cette fois-ci, il ne lui a fallu que dix jours, dont une semaine sur une croisière transatlantique à bord du Queen Mary II en août 2019, pour mettre en boîte un scénario de l’autrice Deborah Eisenberg. Après The Laudromat, le réalisateur retrouve ici Meryl Streep, qui incarne Alice Hughes, romancière à succès qui décide de traverser l’Atlantique pour recevoir un prix littéraire prestigieux. Puisqu’elle est incapable de prendre l’avion, son agente Karen (Gemma Chan) lui propose de se rendre en Angleterre par la mer, accompagnée de son neveu Tyler (Lucas Hedges) et de ses amies d’adolescence Susan (Dianne Wiest) et Roberta (Candice Bergen), perdues de vue depuis des années. Quand tout le monde embarque sur le Queen Mary II avec ses secrets et ses rancœurs, on comprend vite que l’ambiance ne sera pas qu’au farniente.

« le film donne une impression flottante et quasi-dissonante »

On comprend vite aussi que si quelque chose cloche à bord, Soderbergh n’a pas très envie de s’intéresser à l’intrigue principale de son film. Ressassant des thèmes vus et revus sur la part du réel dans la création littéraire, la notoriété ou la gestion du succès de « l’œuvre d’après », les atermoiements d’Alice avec son éditeur et son agente, qui s’infiltre à bord pour l’espionner avec l’aide de Tyler, ne sont pas véritablement passionnants, et installent le film dans une sorte de confort ouaté rarement trépidant. Tout juste discerne-t-on des accents autobiographiques chez cette Alice qui peut rappeler Soderbergh lui-même, artiste ni véritablement de niche, ni véritablement grand public, dont tout le monde sauf elle n’attend que la suite de l’œuvre qui lui a valu la gloire des années auparavant.

Alice est bien la clé de lecture de Let them All Talk, mais c’est moins parce qu’elle évoque par endroit le réalisateur que par l’aspect indiscernable de son caractère, qui imprime sa marque au film. Si ce dernier donne une impression flottante et quasi-dissonante, personne n’arrivant véritablement à se parler et tout le monde semblant faire du surplace, c’est parce que Soderbergh choisit de faire buter le spectateur sur son héroïne, se révélant autant qu’il se dissimule à travers elle. Froide sans être exécrable, snob sans cacher son désir d’être populaire, distante envers son neveu tout en s’attachant à lui, Alice est le principal secret du film, nimbée de cette aura mystérieuse, comme le jazz mielleux composé par Thomas Newman et les lumières sursaturées du navire, qui ne s’estompent qu’au moment où tout le monde pose pied à terre et où la vérité finit par éclater.

Sans rien en révéler, le twist final de ce film à tiroirs éclaire la centaine de minutes qui l’ont précédé d’une douce-amertume qui, si elle ne résout pas tous les défauts du film, expliquent au moins la distance qui semble sans cesse séparer ces personnages pourtant tous embarqués dans le même bateau. Let them All Talk reste bien souvent trop artificiel dans son déroulement et superficiel dans ses développements (bavards) pour totalement convaincre. Mais il n’empêche que derrière ses apparences de fausse comédie des erreurs embourgeoisées, le film tient la barre grâce à un scénario qui sait rester malin, et surtout grâce aux interprétations d’une Meryl Streep bien plus mesurée que ce à quoi elle a pu nous habituer ces derniers temps, et d’une Candice Bergen déchaînée en ex-confidente amère et revancharde. En avançant toujours à visage masqué, Let Them All Talk est au fond tout ce qu’on pouvait attendre de son réalisateur touche-à-tout, qui officie à nouveau comme monteur et chef opérateur sous les noms d’emprunt de ses parents, Mary Ann Bernard et Peter Andrews.

Let Them All Talk, à partir du 20 avril sur MyCanal

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