Les Gens de la Pluie – Un Génie Timide

Auteur de plusieurs grands classiques du cinéma, Coppola père n’a pas toujours su exprimer son talent. La preuve avec Les Gens de la Pluie, un road-trip daté de 1969 efficace mais en demi-teinte.

Par Paola Dicelli

Temps de lecture 5 min

Les Gens de la Pluie

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Comment Francis Ford Coppola a-t-il pu passer des Gens de la Pluie, pot-pourri de ses influences du moment, à la trilogie du Parrain, chef d’œuvre indépassable du cinéma ? C’est la question qui agite tous les cinéphiles. Un accident (heureux) de parcours ? Non, car au-delà de cette saga mafieuse, Coppola est aussi le réalisateur de Conversation Secrète (1974), Apocalypse Now (1979) ou Dracula (1992), films spectaculaires et profonds qui démontrent que les deux premiers Parrains ne sont pas des coups de chance. Les Gens de la Pluie, sorti en 1969, signe donc la fin d’un chemin de croix de près de huit autres longs-métrages (dont deux pornos !), avant d’entamer la décennie 1970, celle de son ascension. Et pourtant, ce road-trip intimiste comporte, même sans grande originalité, certains de ses thèmes de prédilection : la jeunesse désœuvrée, la mort, la folie et la désagrégation de la cellule familiale.

Coppola filme avec une certaine justesse
le mal-être de la jeunesse

Un road-trip trop timide

Le film s’attache au parcours de Natalie Ravenna, une femme au foyer qui, enceinte, décide de tout quitter pour partir sur les routes américaines. En chemin, elle fera différentes rencontres, comme un footballeur blessé après un traumatisme, qui lui parle des « Gens de la Pluie », des personnes transparentes faites de pluie, qui se dissolvent lorsqu’elles pleurent. Une belle histoire sur le papier, malheureusement pas assez aboutie. L’actrice Shirley Knight (dont ce sera sans doute le rôle le plus marquant) est convaincante, mais hélas, son jeu entre la force et la faiblesse rappelle trop celui d’autres comédiennes qui marquent davantage les esprits comme Gena Rowlands ou Barbara Loden.

Quant au fond, Coppola filme avec une certaine justesse le mal-être de la jeunesse, qui cherche désespérément à se faire une place, dans une Amérique transitoire. Un thème qui reviendra dans ses films dans années 80, Rusty James, Outsiders ou Peggy Sue s’est mariée. Avec ici un autre thème, propre au Nouvel Hollywood : celui d’un pays qui ne brille plus. Dans The Rain People, point de sportifs musclés ou de policiers héroïques : le footballeur est blessé et traumatisé, le flic vit seul dans une caravane avec sa fille, et agresse sexuellement Natalie. En abordant cette face sombre de l’Amérique, bien loin du lustre hollywoodien, le cinéaste s’inscrit dans la culture émergente, portée par John Cassavetes ou Dennis Hopper (Easy Rider sort la même année). C’est d’ailleurs là où cela pêche un peu. Car si Les Gens de la Pluie n’est pas dénué de qualité, il pioche trop à droite à gauche pour être totalement personnel et se montre trop timide. Par exemple, le thème de la femme qui, à une époque encore machiste, quitte le foyer sur un coup de tête, est abordé avec des pincettes comme dans Alice n’est plus ici (1974) film pas totalement abouti d’un autre génie du nouvel Hollywood : Martin Scorsese. Mais cette génération de cinéastes est-elle vraiment à l’aise avec le féminisme ?

Des défauts que Coppola corrigera clairement avec Le Parrain trois ans plus tard. Alors qu’il n’est pas le premier choix des producteurs, qui ne voulaient pas miser sur un cinéaste ayant un passif de nanars érotiques — même s’il avait emporté un Oscar du Meilleur Scénario pour Patton, en 1970 — ils finiront par être convaincus. D’une part, parce qu’avant lui, Costa-Gavras, Peter Bogdanovich et Sergio Leone avaient refusé le film, mais surtout, parce qu’il ne coûtait pas cher : « Ils voulaient le faire avec un très petit budget, c’est sûrement pour cela que j’ai été engagé. J’étais jeune ; j’avais deux enfants et un bébé en route. Je n’avais pas vraiment d’argent. Donc, je n’ai eu d’autres choix que de réaliser le film pour le studio » confiera-t-il dans une interview de 1997 incluse dans les bonus du 25e anniversaire du Parrain. Choix judicieux, car le réalisateur a puisé dans son propre vécu, dans ses origines italiennes, pour le rendre le plus personnel possible. Et c’était sans doute cela, finalement, le déclencheur du génie de Coppola.

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