Les Arcs Film Festival

Six personnages en quête d’hauteur

Alpin et européen, les Arcs Film Festival s’est achevé samedi sur la consécration du film 107 Mothers du Slovaque Péter Kerekes. Sur place, six personnalités nous ont  livré leur vision du cinéma face aux enjeux d’aujourd’hui et de demain, de la pandémie à la montée en puissance des plateformes, en passant par #MeToo et l’exigence d’inclusivité.

 

Interview : Jacques Braunstein

Photos : Renaud Marion

 

20 décembre 2021

Temps de lecture 8 min

 

Laurent Cantet, invité d’honneur

« Les comédies c’est bien, les films qui font réfléchir, aussi. »

Palme d’Or à Cannes en 2008 pour Entre les murs,  le réalisateur à la fibre sociale s’attaque à l’affaire Mehdi Meklat dans son prochain film, Arthur Rambo, en salle le 2 février.

Quel est votre plus grand espoir pour le cinéma d’après ?

Que les gens retrouvent l’envie, non pas seulement d’aller au cinéma mais peut être simplement de sortir de chez eux. Le problème est plus vaste que la désaffection des salles de cinéma ou des théâtres. Le cinéma est l’un des moyens de retrouver le goût de la vie, de se confronter à des expériences différentes, à des histoires qui vous sortent de la vôtre.

Et votre plus grande crainte ?

Quand on regarde les chiffres de la semaine, Spiderman écrase tout le reste. La diversité est de plus en plus mise en danger, et ça me fait peur. On va vers une scission entre deux types des cinémas : l’un qui se bat pour continuer à exister, et l’autre qui fait qu’il y a moins de salles et de disponibilité des spectateurs pour voir des choses différentes. D’autant que les plateformes font faire des films à des réalisateurs très en vue.

Que faudrait-il changer ?

Le cinéma est quelque chose de très artisanal ou chacun exprime ce qu’il a envie d’exprimer. Je n’ai donc pas de réponse définitive. Les comédies c’est très bien, les films qui font réfléchir au monde tel qu’il est, et qui posent des questions, aussi.

Et que faut-il garder ?

Il faut conserver la diversité. Le système français permet à des films plus fragiles de se faire, et on ne peut que craindre un changement de règles. Mais peut être suis-je alarmiste, on en parle depuis si longtemps…

Alma Jodorowsky, jurée courts-métrages

 

«  Il faut déjà que le cinéma continue d’exister. »

À voir actuellement dans la série suédoise Threesome (MUBI), la chanteuse et actrice partagera bientôt l’affiche avec Jérémie Renier dans le thriller psychologique L’Ennemi, en salle le 26 janvier.

Quel est votre plus grand espoir pour le cinéma d’après ?

Qu’il existe… C’est un peu trash, pardon.

 Et votre plus grande crainte ?

Il faut qu’il survive et ne se fasse pas bouffer pour les plateformes. On est dans un moment de transition, on se demande où ça va aller et l’on n’a pas beaucoup de réponses pour l’instant.

Que faudrait-il changer ?

Qui suis-je pour dire aux autres ce qu’ils doivent changer (rires) ? Mais redistribuer un peu les rôles et les postes sur les films pour qu’il y ait autant de femmes que d’hommes, ce serait déjà pas mal.

Et que faut-il garder ?

La liberté. Tant dans les sujets des films que dans la manière de les fabriquer. Garder un peu d’indépendance, réussir à aborder des sujets contemporains qui puissent toucher, et les réaliser avec de la singularité.

 

Sandor Funtek, juré courts-métrages

 

« Je ne voudrais pas que le cinéma en salle devienne comme le vinyle, un produit vintage. »

Révélé dans La Vie d’Adèle, Dheepan et K contraire, le jeune acteur explose en incarnant Kool Shen dans Suprême, le biopic de NTM. On le retrouvera prochainement dans la série Notre Dame, la part du feu.

Quel est votre plus grand espoir pour le cinéma d’après ?

Les chiffres ne sont pas bons, moins 40-50% de fréquentation dans les salles. Est-ce que c’est la mort de l’industrie ou est-ce qu’elle va savoir se renouveler ? Je ne veux pas jouer les Nostradamus. Mais avec le contre-coup du Covid, on va ramasser pendant au moins deux ans… Je ne voudrais pas que le cinéma en salle devienne comme le vinyle, un produit vintage. Plus personnellement, pour ma carrière, j’espère simplement travailler avec des metteurs en scène que je trouve bons, émergents ou reconnus. Lesquels ? Ça va sembler hyper présomptueux, mais Cuarón, Iñárritu, Audiard, les frères Safdie… Ceux que je regarde.

Et votre plus grande crainte ?

On a tous peur qu’il n’y ait plus que de grosses comédies un peu graveleuses et un peu racistes sur les bords, ou alors et films sous-payés. Même si pour moi ce n’est pas la préoccupation principale. Je me suis épanoui comme jamais sur des films à 600 000 balles et fait chier comme un rat mort sur des productions à 6 millions. Après, se battre contre les plateformes, c’est un peu se prendre pour Don Quichotte…

Que faudrait-il changer ?

Plein de petits trucs. Par exemple, il faut arrêter de stéréotyper, d’étiqueter, de prendre des têtes et des emplois plutôt que des acteurs. De faire jouer un boucher par un boucher. Il faut réhabiliter l’imaginaire, croire dans les capacités de composition des acteurs. Et pas seulement des stars.

Et que faut-il garder ?

Notre côté latin ! Il faut arrêter de pomper les Américains, de vouloir copier les choses qu’ils savent faire très bien eux-mêmes. Un scénario à l’américaine, tourné à l’américaine pour une plateforme américaine… Je ne vois pas l’intérêt. Les Espagnols donnent une identité espagnole à leurs productions, les Allemands aussi, nous aussi il faut qu’on y mette notre identité française.

 

Fred Baillif, en compétition avec La Mif

 

« Il faut trouver un équilibre entre notre métier et notre engagement. »

Le réalisateur suisse présentait en compétition La Mif (en salle le 9 mars), un long-métrage sur une structure d’accueil pour mineures en difficulté, déjà primé à la Berlinale.

Quel est votre plus grand espoir pour le cinéma d’après ?

On est dans une phase de changement positif à différents niveaux. La Mif est un film féministe et je le revendique. En tant qu’homme, j’ai le droit de faire un film féministe. Il y a une majorité de femme à l’écran, mais le film ne parle pas que de ça. Notre rôle est de raconter des histoires. Il faut trouver un équilibre entre notre métier et notre engagement.

Et votre plus grande crainte ?

Il faut faire attention de ne pas tomber dans les extrêmes. J’ai par exemple un projet dont le personnage principal est noir, et j’ai eu des réponses de producteurs, américains en l’occurrence, qui estiment qu’ils ne peuvent pas produire ce film parce que je ne suis pas noir.

Que faudrait-il changer ?

La pandémie a commencé à creuser la tombe du cinéma sur grand écran. Les spectateurs ont pris de nouvelles habitudes. Même les têtes grises, comme on disait, qui avaient la passion des salles, ont découvert une autre manière de voir des films. Il faut aller chercher les gens, se battre pour les ramener en salles. Pour La Mif, par exemple, j’ai écrit à toutes les institutions qui sont actives dans le travail social en Suisse. 2000 lettres pour organiser des projections en partenariat avec eux.

Et que faut-il garder ?

On a déjà fait beaucoup de choses avec le cinéma. Le challenge demeure de raconter des histoires avec des structures originales. Il faut faire confiance au spectateur, continuer à croire qu’il est assez intelligent pour reconstruire le puzzle qu’on leur propose.

 

Rachel Lang, présidente du jury court-métrage

 

« J’ai peur de l’ubérisation des auteurs. »

Après Baden Baden, son premier long-métrage, en 2016, la réalisatrice vient de sortir Mon Légionnaire, avec Louis Garrel et Camille Cottin.

Quel est votre plus grand espoir pour le cinéma d’après ?

On espère simplement que le cinéma va s’en sortir, être sauvé par je ne sais quoi…

 Et votre plus grande crainte ?

J’ai peur de l’ubérisation des auteurs. C’est important qu’on ait le temps et les moyens d’écrire. On gagne plus d’argent en diffusant un court-métrage sur le service public qu’un long sur une plateforme… C’est fou ! Il faut que les auteurs continuent à se battre pour que les droits augmentent un peu.

 Que faudrait-il changer ?

Personne n’a été voir mon film, du coup je suis un peu déprimée. La sortie en parallèle de tous les films qui ont été bloqués pendant deux ans a été très violente. Et les salles ont été montrées du doigt avec le Covid. Les gens ont pris l’habitude des plateformes, et je me demande si la série est un format qui leur convient mieux… J’ai envie d’essayer d’autres médiums : la BD pourquoi pas.

Et que faut-il garder ?

L’unité, la foi, l’envie de voir des gens partager, ensemble dans un même espace, une histoire. Et personnellement, j’espère que mon film aura une deuxième vie quand il passera sur Canal+. Même s’il était pensé pour le grand écran.

 

Laetitia Dosch, jurée longs-métrages

 

« Mon premier mec, je l’ai embrassé au cinéma. »

Très présente sur les écrans en 2021, notamment dans le très beau Passion Simple et l’anthologie télé H24, 24h dans la vie d’une femme, l’actrice passera à la comédie en 2022 dans le film de Jérôme Commandeur, Irréductible.

Quel est votre plus grand espoir pour le cinéma d’après ?

J’aimerais qu’il y ait plein de gens différents dans la salle. Que ce soit moins cher d’aller au cinéma et même qu’il y ait des cinémas itinérants là où il n’y a pas de salles. Un cinéma très accessible mais avec des propositions qui ne le sont pas forcément toutes.

Et votre plus grande crainte ?

Que les gens n’aillent plus au cinéma. Cet endroit où il y a plein de gens qui ne se connaissent pas, qui vivent une expérience ensemble. C’est très important de partager ce moment, parce qu’on s’est beaucoup renfermés. Moi, d’ailleurs, mon premier mec, je l’ai embrassé au cinéma. Et Annie Ernaux raconte dans Les Années que ses parents parlaient des films de Truffaut à table. Alors qu’ils tenaient un bar épicerie à Yvetot en Normandie dans les années 60. Je suis un peu nostalgique de cette idée de partage.

Que faudrait-il changer ?

MeToo, l’inclusivité, c’est par la diversité des films qu’on doit les voir apparaître. Ces questions doivent être traitées différemment d’un film à l’autre. Et c’est au spectateur de se faire son point de vue. Mais je vois déjà la différence, dans les films dans lesquels je joue. Les castings sont beaucoup plus mélangés. Et même si c’est encore à développer, les scénarios présentent des femmes plus complexes. C’est flagrant quand on voit Aline, de Valérie Lemercier, qui est pourtant un film grand public.

Et que faut-il garder ?

La diversité du cinéma. Il faut que le cinéma reste indéfinissable.

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