La fille au bracelet

Accusée du meurtre de sa meilleure amie, une jeune femme au profil
ambigu voit son procès tourner au jugement moral.
Un film qui questionne le regard de la société sur les mœurs adolescentes.

ParJulien Lada

Temps de lecture 5 min

La fille au bracelet

Bande Annonce

Lise Bataille est une adolescente comme les autres : elle est studieuse, elle a un petit ami, elle part en vacances avec ses parents. Un après-midi, sur la plage, la police vient l’arrêter. Elle est accusée d’avoir sauvagement assassiné sa meilleure amie. Son procès a lieu deux ans plus tard alors que Lise vient de passer son bac avec un bracelet électronique à la cheville. L’histoire est sordide et sa culpabilité semble inconcevable. Au cours des auditions et de son procès, ses contradictions et sa froideur interpellent. Cette adolescente sans histoire pourrait-elle être une criminelle ?

Pour son troisième long-métrage, Stéphane Demoustier s’empare du sujet d’un film argentin, Acusada, sorti dans nos salles en juillet dernier. De l’original, il conserve le fait divers (une ado accusée du meurtre de sa meilleure amie) et l’ambiguïté morale… Mais ici, le film de procès n’est en réalité qu’une apparence. L’affaire criminelle intéresse le cinéaste certes, mais ce qu’il scrute, ce sont les retombées de l’affaire sur l’entourage de la jeune femme, les fêlures de son héroïne, mais aussi la facilité avec laquelle la perception que l’on se fait d’un accusé évolue avec les discours, surtout quand c’est une femme.

Car très vite, on comprend que l’enjeu est moins lié aux actions de Lise qu’à sa personnalité. Son histoire est en apparence d’une triste banalité jusqu’à ce qu’elle débouche sur un meurtre : une histoire d’amitié, de jalousie, de garçons… et de sextape. C’est là où se joue tout le travail de construction et déconstruction de l’image de cette accusée qui ne laisse rien paraître : est-elle une victime qui ne sait pas comment se défendre ? Une manipulatrice machiavélique ? Une « fille facile » dont les pulsions auraient dérapé ? Plutôt que s’orienter vers le poncif que serait une réflexion sur la nouvelle sexualité des adolescents, La fille au bracelet choisit plutôt de questionner la figure de la « mauvaise fille », celle qui ne se conforme pas aux conventions. Une sorte de contrepoint à la remarquable mini-série Unbelievable diffusée il y a quelques mois par Netflix, où l’héroïne ne serait plus victime mais sur le banc des accusés.

un film toujours à la recherche de la nuance

Leur fille, leur Bataille
Trop jeune, trop sage, trop dévergondée, trop froide, trop distante, trop familière, trop impassible… Lise doit faire face aux coups de boutoir de la procureure, incarnée remarquablement par la sœur du cinéaste Anaïs Demoustier, qui apporte à un personnage volontairement détestable une pugnacité douce à l’image d’un film toujours à la recherche de la nuance. En face, le jeu minéral et quasi désincarné de la débutante Mélissa Guers sied à merveille à l’indécision qui flotte autour de son personnage, qui devient une sorte d’illustration vivante de l’effet Koulechov. Ses parents, Roschdy Zem et Chiara Mastroianni servent de porte d’entrée dans le récit. Leurs atermoiements de couple sont surtout fonctionnels à l’intrigue en qu’ils illustrent le déchirement des parents entre besoin de vérité et de justice, soutien à leur fille et doute lancinant quant à son éventuelle culpabilité.

Les amateurs de récits de procès resteront probablement sur leur faim car La fille au bracelet est avant tout une réflexion sur le slutshaming, le sexisme ordinaire et la façon dont les opinions peuvent prendre l’ascendant sur les faits, y compris dans un procès. Ce qui ressemble en premier lieu à des faiblesses (de l’investigation, des pistes différentes explorées, des conséquences du verdict) rend le film singulier et contribue à sa tension sèche (1h30 montre en main). Moins proche d’un Autopsie d’un meurtre que d’une version cinématographique de séries comme Broadchurch, La fille au bracelet l’emporte par sa finesse psychologique et son discours jamais moralisateur sur un sujet qui dépasse de loin le « simple » fait divers.

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