J’accuse – Polanski (se) défend

Auréolé d’un Lion d’argent à la Mostra de Venise 2019, Roman Polanski revient avec une reconstitution minutieuse de l’affaire Dreyfus. Son film sort alors que vient d’éclater une nouvelle affaire impliquant le cinéaste. Décryptage.

Par Theo Bosschaert

Temps de lecture 5 min.

J’accuse

Bande-Annonce

À travers J’accuse, Roman Polanski aborde avec une minutie de thésard les manigances maladroites de tout un État à l’encontre d’un innocent. Après The Ghost Writer en 2010, Roman Polanski s’intéresse de nouveau à un complot politique dans un film également co-scénarisé par l’auteur de roman policier Robert Harris. Dreyfus (Louis Garrel, sobre et efficace) était le seul officier juif d’une armée, et d’un pays, massivement antisémite. Face à cette machine de guerre, Marie-George Picard (Jean Dujardin, au poil, ou plutôt à la moustache) part en croisade. Contre vents et maréchaux, le jeune Lieutenant-Colonel cherche à laver l’honneur d’un homme qu’il avait lui-même participé à rendre coupable. Comme souvent chez Polanski, on se sent impuissant, ballotté… Ici par un complot, hier par une secte sataniste (Rosemary’s Baby, La Neuvième Porte), ou par une copropriété pleine d’animosité (Le Locataire).

La première enquête, bâclée, éclaire sur l’antisémitisme insidieux et maladroit de la fin du XIXe siècle qui annonçait le pire du suivant. Alors que la seconde vient entacher l’image d’une armé confite dans son univers procédurier et protocolaire… La première scène, la dégradation du Capitaine Dreyfus, est pleine de points de fuite, aux antipodes de la rigoureuse symétrie d’une légion digne. Même le képi de Dujardin est de travers. Le film finira par tourner en ridicule cette armée lors du deuxième acte, le procès d’Alfred Dreyfus, où les généraux croulants ne se lèvent que pour enfiler leurs flamboyants chapeaux à plumes. Dans cette époque, dans cette armée, tout n’est que paraitre et, qu’importe les faits, tant que les apparences sont sauves…

La foule d’une puissance inquiétante, opressante,
écrase la quête de vérité individuelle.

L’autre danger est incarné par la cohue des anti-dreyfusars sur les marches du palais de justice de Rennes… Scènes de foules d’une puissance inquiétante, oppressante, qui écrase la quête de vérité individuelle. Une thématique qui sied à Roman Polanski, éternel paria, dont l’œuvre évoque toujours l’homme seul face au groupe. Il ne fait pas pour autant du film un plaidoyé pour ses propres affaires. Rappelant scrupuleusement les faits plutôt que de mettre en scène les aléas de l’opinion. Et ce contrairement à ce que pourrait laisser croire son titre, J’accuse, repris du célèbre article d’Émile Zola dans L’Aurore (c‘est d’ailleurs ce titre qui a poussé une femme à lancer de nouvelles accusations contre le cinéaste comme le révèle Le Parisien).

Lion d’Argent à la Mostra de Venise, le film se révèle, au risque d’un certain un académisme, d’une précision redoutable, tant historiquement que cinématographiquement. C’est un témoignage important sur le devoir de mémoire, et contre toute les forme de racisme qui nous rappelle un autre grand film historique de Roman Polanski : Le Pianiste, Palme d’Or en 2002.

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