Gorge Coeur Ventre, aux journées Cinématographiques de Saint-Denis

Voyage au bout de l’humanité

Projeté dans le cadre des 21e Journées Cinématographiques de Saint-Denis, dont Somewhere\Else est partenaire, le premier film de Maud Alpi, Gorge Cœur Ventre, propose une plongée cauchemardesque dans les abattoirs, pour mettre en scène le crépuscule de l’homme.

Par Juliette Cordesse

Temps de lecture 5 min

Gorge Cœur Ventre

Bande-Annonce

Premier long-métrage de la réalisatrice Maud Alpi, Gorge Cœur Ventre est une fiction qui se déguise en documentaire pour entrer dans les entrailles des abattoirs, un lieu dans lequel personne ne veut plonger mais dont tout le monde profite. Esthétique épurée, absence de musique, le film a tout, dans un premier temps, de l’œuvre naturaliste ; mais la réalisatrice est bien consciente qu’elle ne fait pas un reportage et son œuvre s’avère bien plus subtile qu’un simple voyage dans des images difficilement supportables. Gorge Cœur Ventre est en réalité un film apocalyptique.

Dans Gorge Cœur Ventre, le monde est vide. Le long-métrage suit le parcours de Thomas (interprété par l’intriguant et inconnu Virgile Hanrot) qui commence un nouveau travail dans un abattoir dans le but de pouvoir gagner assez d’argent pour partir – destination inconnue dans un univers qui paraît étroit – avec son chien. Habitant dans un genre de squat, il ne croise que très peu de monde, fume des joints, et la plupart de ses conversations sont adressées à son fidèle compagnon à quatre pattes. Il est le seul personnage humain que le spectateur verra réellement évoluer et très vite, les meurtres d’animaux montrés à l’écran donnent l’impression de ne nourrir que le vide – les employés de l’abattoir eux-mêmes trop précaires pour pouvoir en profiter.

Bruyantes, nombreuses, ce sont les bêtes qui sont mises au cœur de l’image et de l’intrigue, dépassant la présence physique et sonore des humains. Maud Alpi n’hésite pas à faire durer les scènes où Thomas déplace seul des troupeaux entiers de vaches qui beuglent interminablement, des cris d’autant plus criants que la musique est totalement absente du film. De son côté, le chien, certes plutôt silencieux, est plus vif que le maître et c’est lui qui, se déplaçant dans l’abattoir, devient notre véritable guide. A contrario, les silhouettes des hommes sont immobiles, allongées, droguées ou interdites face aux horreurs commises sur les animaux.

    «  Dans ce film, la place des animaux n’est pas parmi les hommes. »

C’est la fin du monde que cette œuvre dépeint, la fin de l’humanité lorsqu’elle est confrontée à ce qu’elle commet sur les animaux. Les couleurs orangées et noires qui dominent dans cet abattoir le nappe d’une esthétique de l’enfer, un enfer dans lequel Thomas plonge progressivement. Le contraste entre l’amour inconsidéré qu’il porte à son chien et son travail, qui s’apparente à être contre les animaux, est saisissant. Mais son parcours évolue progressivement du côté des bêtes. À la froideur de ses gestes au début du film s’ajoutent quelques petites caresses sur les museaux, et un désespoir dans son regard s’insinue lentement. Face à la mort qui parasite l’homme, son chien n’en apparaît que plus vivant. Les gros plans sur ses yeux sombres donnent, par effet Koulechov (figure de montage créant du sens par la confrontation de deux plans), l’impression qu’il est en profonde empathie et qu’il devient plus humain que Thomas, dont les prunelles traumatisées se vident.

Le chien finit par vivre sa propre histoire : il ne reste plus collé à son humain et noue lentement une amitié avec un autre de son espèce. Car dans ce film, la place des animaux n’est pas parmi les hommes. Ces derniers ont créé l’enfer dans lequel ils parquent leur bétail, mais à la fin il n’y restera qu’eux comme le signalent les deux dernières scènes dans l’abattoir : Thomas tue une vache alors que cette dernière était en train de mettre bas puis il brûle son cadavre, montrant que l’homme n’est bon qu’à détruire la vie et qu’en se faisant, il se zombifie. « L’aube c’est le début de la lumière, mais aussi la fin des nuits de tueries », raconte la réalisatrice, évoquant le lever du soleil comme la première inspiration de son film. Au petit matin, seul le chien a le droit à cette aurore, tandis que Thomas, lui, reste dans les ténèbres.

Gorge Cœur Ventre est à découvrir dans le cadre des 21e Journées Cinématographiques de Saint-Denis.

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