Freda, en salle le 13 octobre

Gessica Généus, la relève du cinéma haïtien ?

Avec Freda, son premier-long-métrage de fiction, la réalisatrice Gessica Généus invoque l’esprit de résistance et de créativité d’une jeunesse haïtienne prête à refaire le monde et le cinéma. Un film à la fois émouvant et revigorant, qui ouvre une voie.

Par Caroline Veunac

11 octobre 2021

Temps de lecture 5 min

Une jeunesse vivante, militante, désirante : c’est par là que Gessica Généus a choisi de filmer Haïti. Dans son premier long-métrage de fiction, Freda, cette réalisatrice chevronnée de 35 ans (elle a déjà à son actif un passé d’actrice et plusieurs films documentaires) substitue aux images d’actualité – qui limitent dans nos esprits l’île des Antilles dans un statut figé de martyre des catastrophes climatiques, politiques et sanitaires – des plans de cinéma débordant de rage et de vitalité. Pas étonnant que le film ait été sélectionné au dernier Festival de Cannes dans la catégorie Un Certain Regard : c’est exactement ça, un certain regard, que Gessica Généus porte sur son pays, passant du collectif à l’intime, de la violence de la rue à la douceur des alcôves, de la tendresse des relations filiales à la sensualité de la fête, notamment dans une scène de danse évoquant celles vues récemment dans Small Axe, de Steve McQueen, qui filmait la jeunesse caribéenne du Londres seventies avec une même lascivité frondeuse.

À travers Freda, cette jeune femme qui ne veut pas arrêter la fac pour travailler ou se marier ; qui revendique haut et fort son identité haïtienne et refuse de céder à la tentation de l’exil malgré les supplications de son petit ami parti à Saint-Domingue, le film donne un visage (celui, magnifique, de l’actrice Néhémie Bastien) à une génération de jeunes Haïtiens et Haïtiennes bien décidés à reconstruire leurs pays de l’intérieur, en purgeant la société et des restes du colonialisme et de la corruption ambiante. Malgré la pauvreté, malgré les coups de feu et la mort qui rôde, Freda, le film et le personnage, ont décidé qu’ils ne bougeraient pas de là. Cette volonté et ce désir ne sont pas que politiques : ils sont aussi pleinement cinématographiques. Gessica Généus revendique de faire du cinéma ici et nulle part ailleurs, un cinéma qui soit pleinement haïtien, dans ce pays où l’industrie du film ne tient qu’à un fil. À la faiblesse des moyens de production s’ajoute en effet l’absence de salles de cinéma : à cause principalement du piratage, mais aussi du séisme de 2010 qui a détruit les infrastructures du centre-ville de Port-au-Prince, aucun film n’est distribué sur l’île depuis 2009. Ce qui n’empêche pas les jeunes cinéastes de se battre pour exister et faire exister leurs films.

Aujourd’hui comme hier, la plupart des cinéastes haïtiens sont été contraints de faire leurs armes à l’étranger. D’Arnold Antonin, qui dut fuir la dictature de Duvalier dans les années 70 avant de la dénoncer dans son documentaire Haïti, le chemin de la liberté ; au documentariste engagé Mario Delatour, qui vécut aux États-Unis et au Japon avant de revenir définitivement au pays en 2001 ; en passant bien sûr par Raoul Peck, exilé dès l’enfance, formé au cinéma en Allemagne, et devenu à la fois le plus cosmopolite (en 1997, son film I Am Not Your Negro est nommé aux Oscar) et le plus emblématique des cinéastes haïtiens (il fut ministre de la culture dans son pays dans les années 90).

Dans le sillage de ces pionniers, les jeunes cinéastes d’aujourd’hui font souvent un détour par une université étrangère, mais beaucoup ont à cœur d’ancrer leur cinéma au cœur de leur pays. C’est ainsi que la réalisatrice américano-haïtienne Guetty Felin (Ayiti mon amour) a fondé en 2018 le Festival Lumières du Sud à Jacmel, dans le sud-est de l’île. Quant à Gessica Généus, après une bourse d’études à L’Acting International de Paris, elle est revenue fonder sa société, Ayizian Productions, à Port-au-Prince. En 2020, trois anciens pensionnaires de Ciné Institute, une école de cinéma basée à Jacmel, ont même ouvert une nouvelle formation continue, Cinéma Nous, dont la première promotion compte 32 étudiants. Au milieu d’une industrie si fragile, Freda fait figure d’exception. Mais ce film traversé par l’instinct de vie pourrait aussi être l’arbre qui cache une forêt.

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