Festival de Cannes, Jour 9

L’année de la vache

Le nouveau Kelly Reichardt, First Cow, à disposition sur la plateforme Mubi, raconte la rencontre de deux pieds-nickelés et d’une vache providentielle dans l’Amérique du 19e siècle. Hasard ou coïncidence, le Festival de Cannes met à l’honneur deux autres films, Cow et Vedette, où une vache tient le premier rôle. Une tendance nourrie par les préoccupations environnementales de l’époque.

Par Julien Lada et Caroline Veunac

13 juillet 2021

Temps de lecture 5 min

Cow

Bande-annonce

Cow, d’Andrea Arnold

Présenté au Festival de Cannes dans la nouvelle section Cannes Première, le film d’Andrea Arnold (déjà deux fois prix du jury en 2006 pour Red Road puis en 2009 pour Fish Tank) s’ouvre sur une longue scène de vêlage, où une vache donne naissance à sa petite. Fidèle à son style empathique, la réalisatrice britannique se concentre davantage sur la bête qui met bas que sur les fermiers qui l’accompagnent, et tiendra ce parti-pris tout au long du film. S’appuyant sur un dispositif minimal où la voix-off est quasiment absente et où la caméra ne quitte que très rarement son sujet, Cow vient capter les moments d’authenticité qui font de Luma, puisque la vache a un nom, un individu singulier au sein de cet immense hangar où ses elle et ses congénères, affublées d’étiquettes et de numéros, s’entassent les unes contre les autres, dans le vacarme des machines et les échos de morceaux pop (Billie Eilish, Kali Uchis, et même le traditionnel Fairytale of New York des Pogues le jour de Noël) qui semblent moins là pour elles que pour les éleveurs. Tout au long du film, la caméra ne cesse d’essayer d’approcher et de dresser la capricieuse Luma, tournant et retournant autour d’elle à hauteur de flanc, au risque de s’y cogner. Et c’est ainsi que la vache devient une nouvelle figure féminine au sein de la galerie bâtie par Andrea Arnold, une figure drôle et parfois tragique (à travers quelques scène parfois douloureuses pour l’œil non averti). Corps contraint et conscrit, Luma est aussi une mère contrariée dont la progéniture est déjà conditionnée à suivre l’exact même chemin qu’elle, dans un cycle d’aliénation voué à se répéter. La réalisatrice tente de répondre avec des moyens cinématographiques, qui tendent vers la fictionalisation, à la question qui guide son projet : comment est le monde pour les animaux qui ne vivent qu’à travers leur enclos ? Sans sombrer dans un discours militant où tout serait noir ou blanc (sans mauvais jeu de mots), son film questionne le rapport de l’humain à l’animal et rappelle que les animaux, traités comme une masse indistincte par l’élevage intensif, sont pourtant des êtres uniques et sensibles.

Prochainement en salle.

Vedette

Extrait

Vedette, de Claudine Bories et Patrice Chagnard

Autre documentaire, mais celui-ci présenté dans la sélection de l’ACID, Vedette délaisse les usines à bétail du fin fond de l’Angleterre au profit des hauts pâturages des Alpes suisses, où l’on va suivre ici le parcours de Vedette, une vache d’Hérens qui tire son nom du val du canton du Valais, dont elle est originaire. Sauf que Vedette n’est pas une vache comme les autres : c’est une « reine », désignée comme telle dans le cadre de combats solidement ancrés dans les traditions locales, durant lesquels les vaches d’Hérens, de nature vives et belliqueuses, s’affrontent pour déterminer laquelle aura le droit à la meilleure place dans le troupeau. Fidèle à leur approche sociologique (déjà à l’œuvre dans leur trilogie politique Les Arrivants/Les R du jeu/Nous le peuple), Claudine Bories et Patrice Chagnard, qui filment Vedette mais aussi les deux sœurs éleveuses qui s’en occupent, montrent comment la désignation des reines renvoie non seulement à des codes ancestraux (le statut social des éleveurs de la vallée dépend en partie du nombre de reines qu’ils élèvent) mais aussi à une mythologie propre à cette race. Par-delà ce décryptage d’un terroir et d’un milieu, il s’agit, comme dans le film d’Andrea Arnold, de s’interroger sur le rapport Homme-animal. Se mettant en scène aux côtés des éleveuses et au contact direct de Vedette, Claudine Bories s’immerge ainsi dans la vie de l’élevage pour questionner ses propres idées préconçues sur l’animal. Et chemin faisant, alors que la réalisatrice lit à Vedette un passage sur l’animal-machine dans le Discours de la Méthode de Descartes, le film prend une tournure plus philosophique, voire méditative, sur la place des animaux dans la société industrielle.

Prochainement en salle. 

First Cow

Bande-annonce

First Cow, de Kelly Reichardt

Mise à disposition sur la plateforme Mubi le jour même où Cow était présenté à Cannes, le huitième film de la grande réalisatrice américaine Kelly Reichardt revient aux origines du système qui a conduit les hommes à exploiter les animaux. Nous sommes en Amérique, vers 1820, dans l’Oregon. Un pauvre hère, Cookie, pionnier sans le sou néanmoins doté d’un exceptionnel talent culinaire, fait la rencontre d’un immigré chinois, King Lu. Leur amitié est scellée lorsqu’ils s’associent pour voler le lait de la vache d’un riche propriétaire – présentée comme la première vache du continent – afin de fabriquer de succulents gâteaux qui, espèrent-ils, les rendront riches, ou juste un peu moins pauvres. Le film, splendide anti-western où les cow-boys sont de délicats pâtissiers, met en tension la pureté des intentions de Cookie et King Lu, qui traitent leur vache à lait avec considération ; et la fièvre capitaliste qui guide déjà la plupart de leurs contemporains, les rend suspects aux yeux de la société naissante, et menacent par moment de les contaminer. Dans un décor bucolique, First Cow, dont le format carré tranche avec le cinémascope des westerns conquérants, montre que le ver était dans la pomme dès le début. Le jardin d’Eden où les hommes auraient collaboré avec les animaux pour subvenir simplement à leur besoin, sans vouloir les posséder ni même les manger, a été saccagé tout de suite par l’emballement du commerce et la logique du profit maximal. La relation de tendresse qui liait l’humain à l’animal a vite été dénaturée, et le respect du vivant sacrifié à la surconsommation. Cookie et King Lu veulent seulement transformer le lait de la vache en biscuits, mais bientôt les vaches, abattues à la chaîne, deviendront de la chair à McDo. Dans une forme de pastorale qui diffère encore du documentaire fictionnalisé d’Andrea Arnold et de l’étude empirique de Claudine Bories et Patrice Chagnard, First Cow porte néanmoins, à travers la figure de la vache, une critique du productivisme qui fait écho à celle des deux autres films.

Disponible sur Mubi. 

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Disponible sur Mubi

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