Cyril Dion, réalisateur d’Animal

« Comment on peut vivre à 16 ans avec l’idée qu’il n’y a pas d’avenir ? »

Présenté dans la sélection « climat » du Festival de Cannes, le nouveau documentaire de Cyril Dion, Animal, appuie sur la corde sensible de tous les éco-anxieux, tout en leur donnant matière à espérer, se lever et combattre. Alors que le film sort en salle, rencontre avec un réalisateur qui préfère l’action à la dépression.

Par Caroline Veunac

15 juillet 2021

Temps de lecture 5 min

Animal

Bande-annonce

Après Demain, co-réalisé en 2015 avec Mélanie Laurent, puis Après demain, sorti trois ans plus tard, le héraut du cinéma écologiste Cyril Dion ajoute une pierre à sa filmographie militante avec Animal. Présenté dans la sélection « climat » du Festival de Cannes, ce nouveau documentaire met en scène les angoisses et la combattivité de la jeunesse à travers deux activistes de 16 ans, l’Anglaise Bella Lack et le Français Vipulan Puvaneswaran, qu’il entraîne dans un tour du monde centré sur la protection du vivant. Ponctué de situations fortes (la visite éprouvante et éloquente d’un élevage intensif de lapins ; la découverte du travail sisyphéen d’un groupe de citoyens mobilisés pour la réduction des déchets plastiques en Inde ; les théories alternatives à la croissance défendues par l’économiste Éloi Laurent, qui conclue sur un plaidoyer en faveur de l’amour…), le film provoque des émotions contrastées, entre terreur face à l’ampleur de la catastrophe, urgence de se mobiliser, espoir et admiration face à l’énergie de la jeunesse… On a parlé des sentiments provoqués par le film avec son réalisateur.

Quels sentiments voulez-vous susciter chez les gens qui vont voir Animal ?

Je voulais d’abord susciter des sentiments chez Bella et Vipulan, avec l’espoir que leurs sentiments à eux éveillent d’autres sentiments chez les spectateurs. J’ai voulu les emmener dans un voyage géographique et intime, leur faire vivre plein de situations, pour les confronter à la complexité, au fait que tout n’est pas blanc ou noir, que parfois on est surpris. On peut par exemple se rendre compte, avec notre ami éleveur de lapin, que les sentiments d’horreur et de révolte n’empêchent pas de ressentir aussi des sentiments d’empathie vis-à-vis de cet homme, de se dire que ce n’est peut-être pas juste un salaud, mais également quelqu’un qui est prisonnier d’un système. Et puis évidemment, j’avais envie d’éveiller des sentiments d’émerveillement sur le monde vivant.

À travers Bella et Vipulan, le film montre la combattivité des nouvelles générations. Mais on perçoit aussi leur anxiété face à l’avenir, et c’est terrible de voir ça chez des jeunes qui n’ont même pas 20 ans…

Oui, ils sont dans cet état-là. Ils partent de là. C’est ça qui me touche : comment on fait pour vivre à 16 ans avec l’idée qu’en fait il n’y a pas d’avenir ? Je crois qu’il n’y a jamais eu d’adolescents qui se soient retrouvés dans une situation pareille. Même les gens qui sont nés pendant la guerre, ils pouvaient avoir peur de mourir, mais il y a toujours l’idée qu’une guerre a une fin. Là, si la planète devient à moitié inhabitable, ça ne peut pas se finir. Toute leur trajectoire avec le film, c’est justement d’essayer de trouver du sens, de trouver un nouveau sens. Et ce nouveau sens c’est peut-être de protéger et de perpétuer le vivant, d’être des gardiens de la vie.

Bella et Vipulan sont pacifistes, mais dans le film, ils réalisent que manifester ne suffira pas, et commencent à songer à des actes de désobéissance civile. Pensez-vous que des stratégies plus violentes, voire de nouvelles formes d’écoterrorisme, vont émerger dans les années qui viennent ?

Ca me paraît inévitable. Dans tous les mouvements, que ce soit les droits civiques, la fin de l’esclavage, les suffragettes, l’indépendance de l’Inde, il y a toujours eu une partie non-violente et une autre qui était beaucoup plus offensive. Il va falloir se poser la question de ce qu’on appelle violence. Quelqu’un comme Andreas Malm (ndlr : activiste écologiste suédois) le dit : qu’est-ce qui est le plus violent ? Faire un pipeline en Ouganda alors qu’on sait qu’il ne faudrait plus aucune infrastructure de ce type sur la planète si on veut rester en dessous de 1,5 degrés ? Ou saboter ce pipeline pour essayer de sauver les humains qui vont subir le réchauffement climatique ?

Dans le film, alors qu’elle va devoir prendre l’avion, Bella exprime son sentiment de culpabilité. Ne faudrait-il pas que davantage de gens se sentent un peu plus coupables ?

C’est Nietzsche qui dit que la culpabilité, c’est juste un moyen de retourner la violence contre soi-même. Ce n’est pas un sentiment qui suscite beaucoup de créativité et qui laisse beaucoup d’énergie. Être lucide et se sentir responsable pleinement, oui.

Vous défendez la création de nouveaux imaginaires pour nous permettre, collectivement, d’envisager un futur désirable et de se mobiliser pour. Envisagez-vous de passer à la fiction pour œuvrer en ce sens ?

Oui, je suis en train de travailler sur une série d’anticipation qui imagine une révolution en Europe dans les 20 ans qui arrivent, et qui voit justement s’affronter différentes manières de vouloir changer le monde : la politique, le sabotage, l’action pacifique… Ce qui m’intéresse, c’est de réfléchir à ces différents points de vue. Je travaille aussi sur un film qui abordera ces questions à travail la relation d’un père et de sa fille, et qui s’intéressera à la stratégie, mais aussi à l’intime.

Et vous, militer, faire des films, est-ce que ça vous guérit de l’éco-anxiété ?

Non, mais ça me fait du bien d’agir. Si on est simplement écrasé par la gravité de la situation, c’est juste déprimant. J’adore la phrase de d’Anthony Barnosky (ndlr : un biologiste américain qui intervient dans le documentaire) qui dit qu’il préfère se concentrer sur ce qu’il peut faire plutôt que sur ce que qu’il ne peut pas faire. C’est peut-être ça qui me fait tenir.

Animal, en salle le 1er décembre. 

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