Digger de Georgis Grigorakis

Grec engagé

Dans ce premier long-métrage, prix CICAE à la Berlinale 2020, Georgis Grigorakis aborde la relation père-fils sur fond de combat écologique et social dans le nord de la Grèce. Malgré quelques écueils, Digger confirme l’émergence d’une jeune génération de cinéastes helléniques stimulants.

Par Quentin Moyon

20 juillet 2021
Temps de lecture 5 min

Digger

Bande-Annonce

Digger résonne avec l’actualité immédiate : le film, qui sort en salle juste après les déluges qui ont ravagé une partie de l’Europe, confronte justement son personnage principal à des inondations d’origine climatique. Il s’agit de Nikitas, une sorte de Harry Dean Stanton grec : casquette de pluie vissée sur la tête, manteau vert, barbe poivre et sel sans âge, il vit en ermite dans la ruralité la plus extrême, au nord de la Grèce. Le vieil homme se bat depuis des années comme un acharné contre une multinationale minière amorale et uniquement mue par des intérêts économiques. Mais tout change lorsque revient se mêler à cette routine son fils Johnny, sorti de sa vie vingt ans plus tôt à la séparation de ses parents, préférant les embruns de l’océan à l’humidité de la forêt. Alors que sa mère vient de décéder, Johnny hérite de la moitié de la propriété familiale : l’affrontement père-fils est inévitable.

 

À première vue, rien de bien nouveau sous le soleil – ou plutôt sous la pluie. Nikitas (Vangelis Mourikis déjà aperçu dans Attenberg, de Athina Rachel Tsangari) est fidèle à la tradition et grand défenseur de la nature ; tandis que Johnny (Argyris Pandazaras), avide de changement et de nouveauté, ne jure que par la mécanique. Le motif de la relation entre un père et un fils que tout oppose est ici traité de manière classique. Les deux personnages se reniflent, s’affrontent, tentent peu à peu d’apprendre à se connaître… C’est plutôt dans la forme que le film cherche à se démarquer. Digger adopte en apparence l’austérité d’un certain cinéma d’auteur, rythme lent, plans fixes, étalonnage fade et atmosphère plombée. Mais le travail du directeur de la photographie Giorgos Karvelas sur la largeur et la profondeur des plans donne une vision de la forêt moins étouffante, et met en scène la nature comme une respiration pour l’Homme. Mais aussi pour nous spectateur.

« Résolument écologiste, Digger s’interroge aussi sur le prix de cette lutte : Nikitas a choisi de voir grandir des arbres plutôt que son propre fils »

Ces valeurs de plan insuffle à Digger une énergie relevant à la fois du western – dont le réalisateur se revendique – et du fantastique, qui nous tire de notre somnolence. Grâce à cet élargissement du cadre, on assiste, au-delà du duel filial, à l’histoire d’une terre, de paysages ; et à l’emprise tentaculaire de l’entreprise et ses machines (ici qualifiés de « Monstre »), informe comme un mauvais rêve mais pourtant bien réelle, sur les êtres humains. De ce point de vue, Georgis Grigorakis, dont c’est le premier long-métrage après une dizaine de courts, apparaît bien comme un nouveau représentant de la Greek Weird Wave, cette école de cinéastes qui, même s’ils ne s’en revendiquent pas, exorcisent la crise de leur pays en injectant du surréalisme dans des films aux thématiques sociales. Dans Digger, cette démarche se double d’un sentiment de tragédie grecque, que ce soit dans la construction narrative menée par une forme de fatalisme, que dans l’écriture de personnages, tout droits sortis d’Œdipe roi de Sophocle.

À la fatalité, pourtant, le film oppose la lutte de Nikitas. Lutte contre les excès du capitalisme qui détruisent le tissu social. Lutte contre l’individualisme qui ronge la force du nombre, seule réponse valable contre la dictature des géants économiques. Lutte enfin pour sauver notre écosystème qui périclite dangereusement. Résolument écologiste, Digger s’interroge aussi sur le prix de cette lutte : Nikitas a choisi de voir grandir des arbres plutôt que son propre fils et cette figure d’ermite, qui rappelle le philosophe américain Henry David Thoreau, pose aussi la question d’une transmission douloureuse. Une transmission que Georgis Grigorakis, lui, parvient à restaurer. Même s’il a les défauts d’un premier long, son film, qui fourmille d’idées et de tentatives, en a aussi les qualités ; et parvient in fine à rendre son message parfaitement perceptible.

 

Digger est en salle le 21 juillet

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