Christian Petzold (Ondine)

« Je voulais montrer que les monstres sont là, tout près. »

Après Barbara, Phoenix et Transit, le cinéaste allemand Christian Petzold poursuit son art du réalisme poétique en modernisant le mythe d’Ondine. Et livre une œuvre mystérieuse et sensible, illuminée par le couple Paula Beer-Franz Rogowski. Rencontre avec le réalisateur.

Interview : Olivier Tellier

Temps de lecture 5min

Quelle place occupait le mythe d’Ondine dans votre imaginaire avant de réaliser ce film ?

Ondine est très importante dans la mythologie germanique. Je connais depuis toujours La Petite Sirène d’Andersen, que ma mère me lisait quand j’étais petit, et que j’ai lu à mes enfants. Ondine est également omniprésente dans l’art en général. Il y a notamment deux opéras, celui de Lortzing et celui d’Hans Werner Henze, dont on trouvait des traces dans mon travail avec Haroun Farocki (ndlr : en 2017, les deux cinéastes allemands présentaient une double rétrospective au Centre Pompidou). Le thème d’Ondine est apparu pour la première fois dans mon œuvre avec Phoenix. On y voit un personnage masculin qui se construit une femme, selon ses désirs, un peu comme un réalisateur se construit une muse. Ondine est cette créature née du désir de l’homme, et quand il ne la désire plus, elle doit mourir.

Avec Ondine, qu’avez-vous voulu dire de plus ?

J’ai lu un texte d’Ingeborg Bachmann (ndlr : écrivaine autrichienne morte en 1973), qui s’appelle Ondine s’en va. On y découvre l’histoire racontée par Ondine, qui dit qu’elle veut cesser d’être un objet, mais qui n’a pas d’identité ni d’existence propres en dehors de son statut d’objet. C’est la première fois que je lisais l’histoire racontée d’un point de vue subjectif. Et là je me suis dit qu’il y avait peut-être l’amorce d’un récit de cinéma.

« Quand les formes contrôlées par l’homme se mettent à dérailler […] alors c’est l’histoire, la tragédie qui commencent. »

Ondine est également un film sur Berlin et sa mémoire, pleine de zones d’ombre…

Je vis depuis très longtemps à Berlin. C’est une ville très difficile à aimer, ça demande beaucoup de travail et d’efforts. Un jour, j’ai lu que la ville était construite sur d’anciens marais. Je me suis dit qu’en les asséchant, on condamnait les mythes et les créatures fantastiques qui y vivent à agoniser. Mais peut-être voulaient-elles raconter une dernière fois leur histoire avant de mourir… Quand on a écrit le personnage d’Ondine, on a décidé qu’elle serait historienne de la ville. Et en faisant des recherches, on s’est rendu compte que Berlin était construite sur des effacements et des déplacements. Il y a des choses qu’on a détruites, comme le Mur, le palais de la République ; des bâtiments qui en ont recouvert d’autres, comme le ministère des Finances qui se trouve aujourd’hui à la place de l’ancienne chancellerie de Goebbels… En travaillant là-dessus, j’ai retrouvé des sensations de mon enfance, dans l’Allemagne des années 70. On avait toujours l’impression que quelque chose n’allait pas, mais qu’on nous le cachait. On était assis à une petite table, on entendait les adultes parler plus loin à la grande table, et on se disait entre nous : « Ils mentent. »

L’eau est un élément central du film, mais elle est toujours mise en scène dans un cadre maîtrisé par l’homme, comme l’aquarium ou la piscine. Pourquoi ?

Je ne voulais surtout pas d’eau sauvage, comme c’est le cas dans le mythe, où Ondine vit dans un étang au milieu de la forêt. Je ne voulais pas donner l’impression que les monstres existent loin de nous, dans une nature incontrôlable. Mais au contraire, montrer qu’ils sont là, tout près. Alors quand j’ai écrit le scénario, j’ai commencé par faire une liste de toutes les sortes d’eau domestiquée par l’homme. Barrage, piscine, aquarium, eau du robinet… On a tourné près d’un lac de retenue, sous lequel un village entier a été englouti. Les habitants du coin disent que certains jours, on entend encore sonner les cloches de l’église disparue sous les eaux. Et maintenant, avec les changements climatiques, la chaleur va peut-être assécher le lac, et l’on verra la flèche de l’église ressortir de l’eau. Quand les formes contrôlées par l’homme se mettent à dérailler, quand le verre tombe et se casse, quand la turbine aspire le plongeur vers le fond, quand l’aquarium explose, alors c’est l’histoire, la tragédie qui commencent.

Ondine, de Christian Petzold, au cinéma le 23 septembre.

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