Carrie au bal du diable – Stranger Age

Le plus célèbre film de Brian de Palma, Carrie au Bal du Diable (1977)
ressort en salles le 18 septembre. L’occasion de revenir sur l’adolescence vengeresse,
qui a servie de motif à divers genres cinématographiques et télévisuels.

par Paola Dicelli

Temps de lecture 4 min.

Carrie

Bande Annonce

Ah l’adolescence ! Ce moment pubère fort inconfortable qui libère l’hormone des 400 coups. Sauf que certains jeunes adultes, en proie (souvent) aux moqueries de la société, développent un instinct violent, voire meurtrier. Un archétype qui a inspiré toute une flopée de films, à commencer par des films d’horreur.

Le fameux bal, sorte de règlement de compte à OK Corral ,
point culminant du film.

La Carrie White de Brian de Palma en est un exemple culte. Introvertie, nulle en sport, solitaire, et affligée de surcroît d’une mère grenouille de bénitier, elle est à dix-sept ans le souffre-douleur de ses camarades. La seule chose qu’elle a pour elle : un don pour la télékinésie (c’est déjà ça!). Un pouvoir dont elle se servira à des fins dévastatrices, poussée à bout par ses camarades qui la rejettent. Le fameux bal, sorte de règlement de compte à OK Corral avec ses ennemis, devient ainsi le point culminant du film. Mais est-elle pour autant une meurtrière sanguinaire, façon Jack l’Eventreur ? Non, car Brian de Palma, comme bien des cinéastes, ne juge pas son héroïne. En montrant d’emblée leur handicap ou leur anormalité vis à vis des autres, il présente également leurs circonstances atténuantes. Même si Carrie a brûlé vif la moitié de son lycée, poignardé sa mère, et électrocuté l’un de ses profs, mais on lui avait quand même balancé des tampons et du sang de porc sur la figure ! Les assassinats qu’elle commet grâce à ses dons de télékinésie s’apparentent ainsi à de la pure vengeance. Méritée au yeux de Carrie et du spectateur.

 On retrouve ce pacte étrange entre l’assassin et son public dans la saga Vendredi 13, sortie en 1980, trois ans après Carrie. On y suit Jason Voorhees, un jeune garçon difforme à cause d’une maladie, qui cherche à venger la mort de sa mère. Celle-ci est décapitée parce qu’elle-même avait voulu venger son fils qu’elle croyait mort, noyé à cause de deux moniteurs, qui préféraient copuler plutôt que le surveiller. La traque des nombreux adolescents dans le camp de vacances, puis leur massacre de manières diverses et variées (Jason ne sombre jamais dans la routine sanguinaire!) sont donc le fruit d’un malheureux hasard. Parce qu’elles se trouvent dans ce lieu, les victimes, bien qu’innocentes, sont prises dans les mailles vengeresses du tueur.  En bref, il s’en prend à un groupe, semblable à celui qui a décapité sa mère, et non à une personne en particulier. Dans sa folie, lors du bal, Carrie agit de la même façon, retirant toute individualité à ses camarades qui l’ont blâmée, pour assassiner une masse. Un processus que l’on retrouve dans Elephant de Gus Van Sant, où Alex, bouc-émissaire des étudiants de sa fac, organise une fusillade, tirant, à la manière d’un jeu vidéo, non pas sur ceux qui l’ont harcelé, mais sur un groupe qui représente les harceleurs, sans distinction. Alors que dans les films d’horreur, le pacte immoral entre le tueur et son public adolescent a une fonction cathartique – en gros, on espère que les ados ne fassent pas ce qu’ils voient dans le film qui les aura déchargés de leurs pulsions les plus inavouables. Dans le film indépendant de Gus Van Sant, on expérimente le côté gênant de la position dans lequel est mis le spectateur. Cette démarche radicale lui a d’ailleurs valu la Palme d’Or à Cannes en 2003.

Sainte-Eleven
Heureusement, le personnage d’Eleven dans la série Netflix Stranger Things vient absoudre les péchés de plusieurs décennies d’ados tueurs. Elle est, en quelque sorte, la version améliorée de Carrie, Jason et Alex. Pourtant, son destin est au départ similaire au leur. Bébé, Eleven a été kidnappée et élevée en laboratoire, pour tester ses capacités psychocinétiques (un peu comme Carrie). Mais elle parvient miraculeusement à s’échapper et, au lieu de virer serial-killeuse, elle est prise d’affection par un groupe d’ados de son âge, qui ont perdu l’un de leurs amis. Si la jeune fille utilise ses pouvoirs, elle le fait de façon gentillette par rapport à Carrie — pour séparer deux personnes qui se battent, par exemple. Eleven tue rarement. La raison ? Son âme est sauvée par l’amitié que lui portent les autres personnages ; Mike, Lucas ou Dustin. C’est la rencontre de Vendredi 13 et du cinéma réparateur de Steven Spielberg. Une rencontre qui aurait sans doute empêché Carrie, Jason ou Alex de vriller : un bon vieil ami qui vous veut du bien !

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