Femmes & Cinéma

Phénoménales : la science au féminin pluriel

Avec l’appel à courts-métrages Phénoménales, l’association Femmes & Cinéma invite à changer la représentation des femmes dans les métiers des sciences et des technologies. Sa co-fondatrice, Sandrine Pillon, revient sur l’histoire de l’association et sur la nécessité de cette nouvelle initiative.  

Interview : Caroline Veunac

18 novembre 2021

Temps de lecture 8 min.

Les chiffres sont accablants : 67% des Européen.ne.s pensent encore que les femmes manquent de capacité pour être des scientifiques de talent. Comme si le Prix Nobel de chimie 2020, n’avait pas été décerné à deux d’entre elles, la Française Emmanuelle Charpentier et l’Américaine Jennifer Doudna… Le pire est que le sexisme généralisé conditionne les potentielles aspirantes elles-mêmes. Alors que les filles constituent plus de la moitié des effectifs de Licence, elles ne sont en effet que 28,4 %  à s’orienter vers les sciences fondamentales. Qu’est-ce que vient faire le cinéma là-dedans ? En proposant des personnages de femmes scientifiques centraux et crédibles (disons un peu plus centraux et crédibles que, au hasard, la physicienne-Bond Girl incarnée – avec beaucoup d’humour s’il en est – par Denise Richards dans Le Monde ne suffit pas), les films ont le pouvoir de redorer le sentiment de légitimité des jeunes spectatrices en la matière.

Mais pour qu’il y ait plus d’héroïnes fortes en maths filmées autrement que comme des éléments du décor, encore faut-il qu’il y ait plus de femmes derrière la caméra. Or, au cinéma comme en sciences, par un processus de sélection qui n’a rien de naturel, la filière réalisation a tendance à décourager les femmes. Avec Phénoménales, l’association Femmes & Cinéma, créée en 2014 par les productrices Sandrine Pillon et Stéphanie Douet, veut changer la donne : cet appel à courts-métrages, qui invitent de jeunes réalisateurs et réalisatrices à mettre en scène des femmes dans les métiers des sciences et des technologies, ambitionne à la fois de faire émerger de nouvelles cinéastes, et de générer de meilleurs personnages de scientifiques au féminin. Agir de concert sur l’éclosion des talents et sur la pertinence des contenus : Sandrine Pillon nous parle de cette double approche, au cœur de la démarche de Femmes & Cinéma.

Vous avez fondé Femmes & Cinéma en 2014 : quel a été le déclencheur ?

Nous nous sommes rendues compte que nous n’avions pas la même évolution de carrière que les producteurs hommes avec qui nous avions commencé, et que nous ne produisions pas de la même façon qu’eux. Nous étions plus proches des réalisateurs, plus dans l’accompagnement, et moins politiques. Le Deuxième Regard, qui est depuis devenu le collectif 50/50, était en train de se monter, pour agir sur la parité. On faisait toutes ce constat-là. À l’époque je siégeais à la commission de la Procirep (ndlr : la Société des producteurs de cinéma et de télévision), et j’étais la seule femme ! Avec Stéphanie, c’est plutôt par les films que nous avons entrepris de changer les choses. Comme nous sommes productrices, nous avons voulu partir de ce que nous savions faire. C’est comme ça qu’est né Femmes & Cinéma, avec l’idée de lancer des appels à scénarios pour sensibiliser le milieu, mais aussi les jeunes, via l’éducation à l’image.

C’était avant que l’affaire Weinstein et la vague #MeToo rendent le sujet incontournable… Vos démarches  se sont-elles heurtées à des résistances ?

On était tout de suite reçues, mais avec méfiance, surtout de la part des hommes. Si on y allait avec un ton trop revendicatif, ça faisait peur tout de suite. On les mettait vite à l’aise en leur disant qu’on voulait faire avec les hommes, car nous sommes persuadées qu’on ne pourra avancer qu’en les incluant. On a essayé d’aborder les choses de façon joyeuse. Dès que la première barrière était franchie, la plupart étaient avec nous. Aujourd’hui tout a changé, c’est devenu normal de parler de ces choses-là.

 

Le dispositif que vous avez créé opère à deux niveaux : donner leur chance à des scénaristes et réalisatrices émergentes, mais aussi faire évoluer la manière dont les personnages féminins sont écrits…

Ce sont nos deux axes. On se disait « les scénarios qu’on reçoit, c’est vraiment pas possible ! » Même nous, on se rendait compte qu’on laisser passer des stéréotypes dans les scénarios par habitude. Lorsqu’on a lancé le premier appel à projet, Femmes actives, en 2014, on voulait sensibiliser les scénaristes et avoir des rôles forts de femmes au travail. On a reçu à peu près 250 scénarios, 50% écrits par des femmes, 50% par des hommes. Et dans beaucoup de notes d’intention, ils et elles s’interrogeaient sur le fait qu’eux-mêmes, jusque-là, ne pensaient pas spontanément à une femme dans un rôle d’ingénieur. Ces choses-là sont très ancrées en nous tous.

Les deux scénarios lauréats ont été produits par vous, réalisés par des femmes et diffusés sur France 3. Quel accueil ont-ils reçu ?

Max, réalisé par Florence Hughes d’après le scénario de Stéphanie Tallon, qui parle d’une jeune fille stagiaire dans un garage automobile confrontée aux préjugés, a fait beaucoup de festivals. Et L’Effort commercial, de Sarah Arnold d’après l’idée originale d’Aline Crétinoir (ndlr : sur l’exploitation des hôtesses de caisse dans un supermarché), est nommé aux César 2022. C’était le but : à travers ces films, on voulait aussi sensibiliser le grand public.

Vous œuvrez aussi auprès des jeunes, dans le cadre de Regards de Femmes, qui encadre des lycéens dans la réalisation de courts-métrages…

Les trois premières années, Regards de femmes collaborait avec La Quinzaine en action, le volet social de la Quinzaine des réalisateurs, qui recueillait les histoires  de femmes en difficulté à La Bocca, que nous nous envoyions à des classes de Première pour qu’elles écrivent des scénarios, dont certains été sélectionnés et tournés avec l’aide de professionnels. Depuis deux ans, nous avons souhaité explorer d’autres thèmes, comme cette année le cyber-harcèlement, le harcèlement de rue et le consentement. Nous sommes très fières de la collection de films que nous avons constituée ainsi, et de l’impact qu’ils ont eu dans les lycées, les tables rondes et les festivals où ils ont circulé. C’est un moyen de libérer la parole sur les violences que les jeunes de ces lycées peuvent rencontrer, et parfois, c’est vrai que ça éveille des vocations, comme chez ce jeune homme de Poissy qui s’est servi du court-métrage auquel il avait participé pour obtenir son entrée en BTS audiovisuel. Ça leur donne la chance d’être sur un tournage, ils découvrent un monde.

Vous lancez aujourd’hui Phénoménales, sur les femmes dans les métiers de la science et des technologies. Cette fois, c’est un appel à films déjà tournés. Qui seront donc des films auto-produits, possiblement tournés, par exemple, avec un téléphone ?

Oui, à condition de respecter certaines règles techniques indiquées sur notre site, pour que ce soit diffusable ensuite. Les 5 films choisis bénéficieront en effet d’un contrat d’auteur de 1000 euros, de la post-production prise en charge par Femmes & Cinéma, et de la diffusion sur France 3.

C’est une incitation aux jeunes femmes à s’emparer directement de la caméra ! Pensez-vous qu’il y a encore chez certaines une forme d’auto-censure vis-à-vis de la réalisation, comme lorsqu’il s’agit de s’engager dans une filière scientifique ?

Nous sommes parties d’études qui montrent que dès l’école primaire, quand on leur donne une liste de métiers, la plupart des filles ne vont pas cocher pas ingénieure ou chercheuse. Et en effet, on peut assez facilement faire le parallèle avec le cinéma. À la Fémis, on compte 50% de femmes réalisatrices, mais ensuite elles ne sont que 25% en activité. Que ce soit dans les sciences ou dans la réalisation, les femmes se découragent parce qu’il y a beaucoup d’hommes, et qu’elles savent que ce sera plus difficile pour elles.

L’appel à courts-métrages Phénoménales est ouvert jusqu’au 19 mars 2022.

Pour plus de détails : https://femmesetcinema.com/phenomenales

 

 

 

 

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