L’AFFAIRE COLLECTIVE | LES ARCS FILM FESTIVAL
Colectiv, la triste affaire
Présenté en avant-première aux Arcs Film Festival, L’Affaire Collective, du réalisateur allemand d’origine roumaine Alexander Nanau, dissèque la corruption du système hospitalier roumain. Un documentaire-brulot à l’encontre de la classe politique post-Ceausescu.
Par Quentin Moyon
Temps de lecture 5 min.
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Le 30 octobre 2015, un incendie ravage la discothèque Colectiv à Bucarest, Roumanie, faisant 64 morts et 146 blessés. Parmi les victimes, 37 meurent à l’hôpital. Non pas des suites de leurs blessures, mais du fait d’une prise en charge catastrophique et de conditions sanitaires déplorables. Après avoir filmé une famille de roms dans son précédent film Toto et ses sœurs, le réalisateur allemand né en Roumanie Alexander Nanau se fait ici témoin de ce drame politique et humain, à travers le travail de lanceur d’alerte mené par le journaliste Cătălin Tolontan. Au sein du quotidien généraliste Libertatea (La Liberté), premier média libre créé après la chute de la dictature en 1989, le reporter et ses équipes rassemblent des témoignages, effectuent des filatures, et traquent les responsables.
Un coup de pied dans la fourmilière plus tard, et l’on assiste à la mise à jour d’un scandale national, dans cette Roumanie « démocratique » où la corruption et le népotisme gangrènent les institutions. L’affaire du Colectiv n’est pas la première du genre. Des emplois fictifs du député Liviu Dragnea aux détournements de fonds du #Teleormanleaks, les pratiques frauduleuses sont monnaie courante dans les sphères étatiques roumaines. Cette fois, les conséquences sur la vie des citoyens sont terribles, et spectaculaires, à l’image des séquelles que devra porter à vie Tedy Ursuleanu, une jeune femme qui a perdu ses doigts et subi de multiples brûlures graves lors de l’incendie. Grâce au travail de Tolontan, de nombreux médecins sont arrêtés et des hôpitaux voient certaines de leurs licences, attribuées par intérêt politique, remises en cause, comme l’Hôpital St Mary, seul établissement autorisé à pratiquer des greffes dans le pays alors même qu’il ne possède pas de service de pneumologie.
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Comme dans les films-dossiers Spotlight ou The Laundromat : L’Affaire des Panama Papers – sauf qu’ici, nous ne sommes pas dans la fiction –, le documentaire d’Alexander Nanau se place en retrait pour ne pas impacter le déroulement de l’enquête, mais se tient suffisamment près, au bon endroit et au bon moment, pour nous en dévoiler tous les rouages : conférences de presse, réunions de rédaction, négociations avec des sources, arrestations… Le film nous cueille tant par la violence de la réalité qu’il dévoile que par son rythme effréné, directement emprunté au thriller.
Édifiant politiquement, le film a été sélectionné pour représenter la Roumanie aux Oscars 2021. Mais L’Affaire Collective n’est pas qu’un pavé dans la mare : c’est aussi une œuvre sur l’émergence d’une réponse citoyenne. Subtilement mais sûrement, elle met en lumière les solidarités qui se constituent en réaction à la situation. Des journalistes aux victimes, et jusqu’à certains membres du nouveau gouvernement mis en place après la démission entraînée par le scandale, l’ensemble des individus que l’on croise en vient à former un tout, qui parle d’une même voix. Alexander Nanau ne s’arrête pas au négatif : il pointe aussi la volonté de se reconstruire ensemble, et dessine le brouillon d’une société plus humaine. Ce désir de collectif, d’engagement et de solidarité le positionne pas loin des grands noms de la nouvelle vague roumaine, Porumboiu, Mitulescu, Mungiu ou Puiu, qui travaillent dans la fiction les traumatismes du régime Ceausescu et cherchent, eux aussi, à insuffler un vent d’espoir.
L’Affaire Collective, en compétition officielle aux Arcs Film Festival.
Toute la programmation et toutes les informations concernant la 12ème édition du festival sont à retrouver ici : https://lesarcs-filmfest.com/fr
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