Wild Indian au festival de Sundance

Cinéma amérindien : une nouvelle génération ?

Présenté en avant-première au festival de Sundance, qui se déroule en ligne jusqu’au 3 février, le premier long-métrage de Lyle Mitchell Corbine Jr. expose avec froideur la violente construction identitaire de jeunes Indiens Ojibwés. Et pose la question de la difficile émergence du cinéma amérindien.

Par Quentin Moyon

Temps de lecture 5 min

« Ce n’est pas ma faute si les Indiens sont une bande de putains de menteurs et de narcissiques. Nous sommes les descendants de lâches. Tous ceux qui en valait la peine sont morts en combattant. » Ce cri de rage, lâché vers la fin du film par Michael Peterson, un des deux personnages principaux de Wild Indian, résume à lui seul toute l’ambiguïté identitaire de celui qui naquit 35 ans plus tôt dans une famille Ojibwé, sous le nom de Makwa. Un individu qui nous apparaît en rejet total de ses origines, peut-être même jusqu’au meurtre de son semblable, sans pourtant parvenir à s’extraire de sa communauté, comme s’il était soumis à un destin inéluctable.

Premier long-métrage en grande partie inspiré de la vie de son scénariste et réalisateur Lyle Mitchell Corbine Jr., Wild Indian couvre la vie de deux Amérindiens de la tribu des Ojibwés, le troisième groupe autochtone le plus important des États-Unis, à travers leur enfance dans une réserve du Wisconsin dans les années 80, et leur vie d’adulte en 2019. Le film, qui rappelle dans son dispositif Moonlight, de Barry Jenkins, s’ouvre sur la préadolescence de Makwa, incarné par le fantastique Phoenix Wilson, et de Teddo (Julian Gopal). Le premier est trapu, renfermé, et sa voix fluette, qui dénote avec sa carrure, ne peut dissimuler le quotidien de mauvais traitements et de harcèlement dont il est victime à la maison comme à l’école. Son cousin, Teddo, est, à l’inverse, sûr de lui et enjoué. Leur vie bascule le jour où, lors d’une sortie habituelle où ils embarquent le fusil du père de Teddo, Makwa est pris d’un accès de folie et tue intentionnellement un autre garçon de leur classe, qui passait par là. Makwa et Teddo décident d’enterrer le cadavre dans la forêt.

Les deux garçons ne seront jamais pris, mais quelque chose s’est joué là, qui aura des répercussions sur leur vie entière. Le film nous propulse alors trente-cinq ans plus tard. Makwa n’existe plus : il a cédé sa place à Michael (Michael Greyeyes, aperçu dans I Know This Much is True aux côtés de Mark Ruffalo). Un homme d’affaires accompli, ayant fui la réserve et son odieux crime, pour devenir quelqu’un d’autre en Californie. Il a désormais une femme, un enfant, un deuxième bébé en route, un job et un patron (Jesse Eisenberg, aussi producteur exécutif du film). Resté en arrière, Teddo adulte (Chaske Spencer), lui, a sombré dans la délinquance et le trafic de drogue. Après dix ans de prison, il sort enfin, bien décidé à reprendre sa vie et à s’occuper de sa sœur et de son neveu. Mais l’un comme l’autre seront bientôt rattrapés par le passé.

« Comment faire entendre sa voix quand on est tiraillé entre la fierté de ses origines et la dissolution dans le standard blanc ? »

En seulement une heure et demie de film, Lyle Mitchell Corbine Jr. développe le thème abordé dans ses deux courts-métrages, Shinaab et Shinaab, Part II, déjà présentés à Sundance : la difficile construction identitaire des jeunes Indiens Ojibwé. Un thème classique des récits d’apprentissage, auquel le jeune réalisateur (qui cite Lost in translation comme premier choc cinématographique !) réserve un traitement original, entre thriller et drame malickien. Makwa/Michael va ainsi violemment passer du personnage de jeune homme timide et abusé qu’il est au début du film à celui d’un abuseur dénué d’empathie. L’enfant maltraité devient un adulte sanguinaire, à la froideur digne d’un serial killer, et le film bascule avec lui dans une atmosphère qui côtoie parfois l’horreur, comme si le masque blanc de Michael Myers dans Halloween avait était remplacé, chez cet autre Michael, par un masque social tout aussi flippant.

Par son dialogue même avec le cinéma mainstream, Wild Indian est un indicateur intéressant de l’état du cinéma amérindien actuel. Hormis quelques œuvres emblématiques qui jalonnent çà et là le Septième art, comme Smoke Signals, réalisé en 1998 par le cinéaste issu des tribus Cheyenne Arapaho Chris Eyre, on est encore loin d’une vague assez puissante pour rencontrer le grand public. Si les récits des natifs américains arrivent jusqu’à nous, c’est plus souvent portés par des non-Amérindiens, comme Scott Cooper (Hostiles) ou Chloé Zhao (Les Chansons que mes frères m’ont apprises). En d’autres termes, le cinéma amérindien attend encore son Black Panther, l’avènement d’une génération de cinéastes amérindiens faisant des films pour tous les Américains avec des castings majoritairement amérindiens. Qu’il ait autant de mal à émerger, alors même que d’autres groupes opprimés accèdent aux responsabilités et à la représentation dans le cinéma, en dit long sur le statut des natifs en Amérique.

Pourtant, Wild Indian en témoigne, il y a un frémissement. Et Sundance n’y est pas pour rien. En 1998, c’est là que fut récompensé le film de Chris Eyre, et le festival de Robert Redford, l’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux, a toujours œuvré, via son Native filmakers lab, à promouvoir les voix des premiers habitants. C’est aussi sur la chaîne télé du festival, Sundance TV, qu’est diffusée la série The Red Road, certes créée par un scénariste blanc, mais qui se déroule dans une réserve indienne. Cette réserve dont on aimerait tant voir un jour sortir le cinéma amérindien, elles est aussi le décor de Wild Indian. Et ses personnages, eux aussi, peinent à s’en extirper… Du moins pas sans une certaine dose de culpabilité à quitter son milieu d’appartenance, causée par une marginalisation intériorisée, qui ne fait que complexifier encore plus le propos autour de la construction de soi.

Une prison mentale, sociale et physique, dont les grilles sont forgées par les programmes d’assimilation forcée imposés aux Amérindiens jusqu’au milieu des années 60 avec l’Indian Termination Policy. Ces politiques ne sont pas mentionnées explicitement dans le film, mais pèsent lourd, en hors champ, sur le destin de nos antihéros, expliquant que Michael et Teddo se vivent comme des « descendants de lâches ». La crise identitaire de ces deux personnages, pris dans une spirale de frustration et de violence où domine la haine de soi, n’est peut-être pas sans rapport avec la difficile émergence du cinéma amérindien. Comment faire entendre sa voix quand on est tiraillé entre la fierté de ses origines et la dissolution dans le standard blanc ? Wild Indian met le sujet sur la table, et le film lui-même, porté par un jeune réalisateur engagé pour sa culture, et qui maîtrise les codes d’un cinéma d’auteur cosmopolite, est un début de réponse.

Wild Indian, au festival de Sundance : https://festival.sundance.org/

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