Trop beau pour être vrai

Sublime mais déshumanisée, la première série du réalisateur de Drive, Nicolas Winding Refn, subjugue autant qu’elle ennuie. Explications.

Par Caroline Veunac

Temps de lecture 3 min.

Too Old to Die Young

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Le sigle NWR dont il tamponne désormais ses génériques en est la preuve : Nicolas Winding Refn veut que le monde le considère comme une marque. Ses premiers films coups de poing, la trilogie Pusher, réalisée dans le Danemark du début des années 2000, étaient sales et râpeux. Progressivement, et plus particulièrement depuis son passage à Hollywood en 2011 avec Drive, le réalisateur a raffiné et standardisé son style au point d’en faire une sorte de cahier des charges chic et choc, à base de nuit de velours et d’éclairages au néon. En s’internationalisant, le jeune punk est devenu un dandy, rodé aux ficelles du marketing artistique, et les uppercuts se sont transformés en provocations de salon. Aujourd’hui âgé de 48 ans, il est bien « trop vieux pour mourir jeune », comme le proclame le titre de sa série.

L’univers de Too Old to Die Young
est particulièrement cradingue.

Typiquement : il a présenté sa première série, Too Old to Die Young, au dernier Festival de Cannes, mais en choisissant les épisodes 4 et 5, rien que pour faire son intéressant… C’est ce qu’on a pensé d’abord, forcément. Découvrir la série en commençant par le milieu s’est avéré plus troublant que prévu. Et tandis que le coup de buzz fut très volatil, la sensation éprouvée demeure. Celle de flotter au milieu du néant sur un bout de fiction sans début ni fin, où il est question d’un flic tueur à gages, Martin (Miles Teller), cherchant le salut auprès d’un vigilante millénariste, Viggo (John Hawkes). Post-film ou proto-série ? Est-ce grave de ne plus savoir ce que l’on regarde ?

Mais qu’est-ce qu’on regarde au juste?

La diffusion, dans l’ordre, sur Amazon Prime, estompera cet effet de désorientation. Mais la valeur des images restera, à vue de nez, la question centrale de la série. Dans l’épisode 5, un sinistre producteur de porno au look de pasteur à lunettes, double plausible de Nicolas Winding Refn, tend à Martin un smartphone sur lequel défile une scène de viol, hors-champ pour nous. Un doute traverse le regard de Miles Teller : ce qu’il voit est-il de la fiction ou la réalité ? Oui, nous dit au passage le réalisateur, c’est grave de ne plus savoir ce que l’on regarde.

Par-delà l’éthique des images, le sujet primitif de Too Old to Die Young semble plutôt l’ambivalence de Refn lui-même vis-à-vis du binôme violence/sexe et de son exploitation. Si l’on se demandait de quoi NWR était la marque, c’est bien de ces thématiques, qui font un trait d’union entre tous ses films. Il fait preuve d’une inventivité alarmante lorsqu’il s’agit d’imaginer des mises en scène perverses et l’univers de Too Old to Die Young est particulièrement cradingue. À l’attrait scopique pour la chair et le sang s’ajoute la tentation d’un grand nettoyage. Nettoyage d’une société condamnée par la perversité et l’arrogance des hommes, mais aussi nettoyage de l’inconscient crapoteux du réalisateur.

Tout cela fait de Too Old to Die Young un spectacle paradoxal, plastiquement sidérant, et malgré tout très pénible à regarder, pour qui n’a pas spécialement envie de voir un pervers polymorphe laisser libre cours à ses fantasmes avant de s’autoflageller sous nos yeux. Sublimée par la photographie du français Darius Khondji (Delicatessen, Se7en, Amour, Okja…), la série offre une succession de tableaux dignes de la peinture hyperréaliste américaine, étirés par la lenteur de l’action et le silence des secondes qui s’écoulent entre chaque réplique. Mais, comme bloqués dans sa tête avec ses obsessions, Refn ne laisse jamais les émotions s’immiscer dans ses images parfaitement composées. Toute la beauté du monde n’y peut rien : coupé de ses propres sentiments, NWR devient la marque de l’ennui.

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