Peter Bogdanovich

On ne vit que deux fois

Cult. Livre, ressorties, rééditions et entretiens*, le cinéaste Peter Bogdanovich réalise le come-back de cette fin d’année, après une longue traversée du désert.

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Par Paola Dicelli

Les plus jeunes ne le connaissent que sous les traits du Dr Elliot Kupferberg, le psy de la psy de Tony dans Les Sopranos. Mais Peter Bogdanovich, c’est d’abord ce réalisateur prolifique du Nouvel Hollywood qui n’a jamais été reconnu à sa juste valeur. Non par manque de talent, mais parce qu’il a toujours confessé son incapacité à vivre au présent. En ayant eu trop recours à la citation filmique, qui rend hommage à ses idoles classiques, il s’est en effet laissé vampiriser par un système révolu, et y a laissé sa singularité. Reste quand même dans sa carrière des pépites comme La Dernière Séance (pas celle d’Eddy Mitchell) ou Saint Jack, qui offre à Ben Gazzara l’un de ses plus beaux rôles. Ces quelques films, sortis de l’ombre, permettent enfin d’apprécier le génie (manqué) de Peter Bogdanovich.

“Wes Anderson et Quentin Tarantino se réclament de lui, les livres, les ressorties et les rétrospectives qui lui sont consacrés se multiplient ”

Los Angeles, années 70, la fête bat son plein dans une villa sur les hauteurs de Sunset Boulevard, Dennis Hopper lève son verre pour porter un toast et, s’adressant au réalisateur Georges Cukor (Le milliardaire, My Fair Lady…), lance : « On va tous vous enterrer, les vieux ! » Fou de rage que le peintre et réalisateur d’Easy Rider s’en prenne ainsi à son mentor, Bogdanovich l’insulte violemment, et quitte la soirée, avec Cukor. Cette anecdote résume à elle seule sa persona. Un cinéaste d’origines serbes né en 1939, qui n’a jamais vraiment fait partie du Nouvel Hollywood. Voyage to the Planet of Prehistoric Women et Target, qu’il tourne en 1968, annoncent la couleur. Le premier est un nanar SF kitchissime, l’autre un thriller moyen, mais ils ont un point commun, dernières niches des vieilles stars hollywoodiennes, mises au banc par un milieu en pleine (r)évolution. Alors que les jeunes cinéastes sont en quête de nouvelles têtes, Voyage to the planet … met en scène Mamie Van Doren, avatar low-cost et ridé de Marilyn Monroe, et Target filme Boris Karloff (Frankenstein), jouant plus ou moins son propre rôle : celui d’un acteur retraité.

La nostalgie de l’Âge d’or
Peter Bogdanovich porte également cette passion pour l’Âge d’or dans son second métier de journaliste écrivant des portraits de Hitchcock ou de John Ford pour lesquels il rencontre ses mentors. Appliquant ensuite leurs conseils dans ses films. Et c’est plutôt un bon élève. En 1971, il signe La Dernière Séance, radiographie de la jeunesse silencieuse et désabusée des années 50, servie par une incroyable mise en scène  – et paradoxalement salué comme fondateur par Peter Biskind l’auteur du livre de référence sur le Nouvel Hollywood. Pour ce film, aujourd’hui son plus célèbre, il est nommé à l’Oscar du meilleur réalisateur et du meilleur scénario, et vivra en prime une histoire d’amour avec la mannequin Cybill Shepherd (Taxi Driver, Claire de Lune…), à qui il a donné le premier rôle.

Mais au lieu de rester dans ce sillage mêlant l’originalité et la nostalgie (comme son ami John Cassavetes), Peter Bogdanovich a vite basculé dans la mélancolie de l’ancien monde. Exemple type avec Nickelodeon (1976), hommage aux prémices du cinéma tant dans le fond que dans la forme, et qui a été boudé par la critique et le public. Même Saint Jack, de nos jours encensé, n’a aucune prise sur les spectateurs de l’époque. Ses références trop appuyées à Casablanca de Michael Curtiz ont relégué (à tort) son réalisateur au rang « d’imitateur ».

Ce long fleuve pas tranquille, sera ensuite semé de succès (comme What’s Up Doc’, avec Barbra Streisand et plusieurs nominations aux Oscars dans les années 70) mais aussi beaucoup de flop, conclu par un « suicide artistique » en 1980, après la mort tragique de la playmate Dorothy Stratten. La jeune femme de vingt ans, devenue son amante, a été brutalement assassinée par son premier mari, et le cinéaste ne s’en est jamais totalement remis (même s’il a épousé la petite sœur de Dorothy, un an après). Bob Fosse en tirera le film Star 80 avec Marielle Hemingway dans le rôle principale en 1983. Pour Bogdanovich suivront des films sporadiques et peu louangés (à l’exception de Mask en 1985, qui a valu à Cher un prix d’interprétation à Cannes), jusqu’à sa renaissance inattendue dans les années 2000.

La résurrection d’un classique
Exit le Nouvel Hollywood, dans un contexte qui plébiscite du rétro, Bogdanovich et sa passion des anciens se taillent une nouvelle réputation. Wes Anderson et Quentin Tarantino se réclament de lui, les livres, les ressorties et les rétrospectives qui lui sont consacrés se multiplient (au Festival des Lumières à Lyon, en octobre dernier, entre autres). Malgré cette soudaine « Bogdanovite aïgue », il n’est pas retourné sur les plateaux depuis Broadway Therapy en 2014. Le film, salué par la critique au moment de sa sortie, comprenait les apparitions de Cybill Shepherd, Tatum O’Neal (qui avait décrochée, en 1974, un Oscar à 10 ans dans La Barbe à Papa du même Bogdanovich) ou Colleen Camp (vue dans Apocalypse Now). Bref un film qui rend hommage aux anciennes gloires du… Nouvel Hollywood, cette fois.

Depuis, il a également terminé pour Netflix le film inachevé de Orson Welles De l’autre côté du vent. Dans ce long-métrage ressuscité qui opposait justement le Nouvel Hollywood à un cinéaste vieillissant, il interprétait le jeune réalisateur doublement disciple du héros campé par John Huston et ressemblant à Welles lui-même. Tout un symbole.

* coffret éditions prestige chez Carlotta, avec le roman-essai La mise à mort de la licorne + le livre d’entretien de Jean-Baptiste Thoret : « Le cinéma comme élégie » + DVD de La Dernière séance et Saint Jack.

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