The Twilight Zone

La bonne dimension

Série. Jordan Peele, réalisateur de Get Out et Us
était la personne idéale pour rebooter le chef-d’œuvre de la télé sixties.
On vous explique pourquoi.

Texte et interview Caroline Veunac

Temps de lecture 3 min.

The Twilight Zone

Jordan Peele

Bande Annonce

Un petite musique oppressante, une porte qui s’ouvre au milieu de l’espace, une voix d’hypnotiseur qui susurre à notre oreille « Vous venez d’entrer dans la Quatrième Dimension » (en VF)…Créée en 1959 après que Alfred Hitchcock présente ait quitté CBS pour NBC, et multidiffusée pendant des décennies partout dans le monde, The Twilight Zone, de son titre original, a bercé l’enfance de plusieurs générations de sériphiles. Rien de tel qu’une bonne histoire de terreur avant d’aller se coucher, et Rod Serling, le créateur et narrateur de cette anthologie mythique, savait y faire en matière d’angoisse télévisée. Soixante ans plus tard, on va refaire de bons cauchemars : le monument télé sort du placard, dépoussiéré par Jordan Peele, le réalisateur à succès de Get out et Us.

un Martien peut dire des choses
qu’un Républicain ou un Démocrate
ne peut pas dire

La filiation semble naturelle. Dans les années 60, Rod Serling révolutionne la fiction télé en utilisant le véhicule du genre – SF, fantastique et horrifique – pour distiller sur un médium grand public sa vision très sombre de la société américaine d’après-guerre. Pour lui, « un Martien peut dire des choses qu’un Républicain ou un Démocrate ne peut pas dire ». Vétéran souffrant probablement de stress post-traumatique, devenu scénariste télé option gauchiste, il transforme ce qui n’aurait pu être que de simples historiettes d’aliens, de robots et de bizarreries spatio-temporelles en une collection de fables existentielles, à la fois sombres et humanistes. Dans un des épisodes les plus marquants, The Monsters are due on Maple Street (saison 1, épisode 22), la panique d’un quartier résidentiel craignant d’être envahi par des extra-terrestres allégorise la paranoïa maccarthyste. Dans The Shelter (saison 3, épisode 3), c’est la peur de la bombe et ses effets sur la cohésion nationale qui sont synthétisées dans l’histoire d’un groupe d’amis se déchirant pour accéder à un abri anti-nucléaire…

Black Mirror et Twin Peaks lui doivent beaucoup
Jordan Peele n’avait pas attendu de reprendre La quatrième dimension pour appliquer la recette inventée par Serling. Get Out et Us, ses deux popcorn movies horrifiques au sous-texte très dense, pourraient être de longs épisodes de The Twilight Zone. Mais racontés du point de vue d’un homme noir sur un pays encore miné par les inégalités sociales et les délires suprémacistes. Ancien comique (il était la moitié du duo rigolo Key & Peele) devenu cinéaste pop et militant, Jordan Peele a le chic pour imaginer de petits objets ludiques avec twist à la fin, dont la morale très politique est savamment goupillée pour exploser à la figure de l’Amérique trumpiste. Dans Get Out, le cauchemar d’un jeune homme noir séquestré par sa belle-famille blanche met le doigt sur le refoulé raciste de la bourgeoisie de gauche. Dans Us, ce sont de terrifiants doppelgängers à l’élocution désarticulée qui, prenant en otage une famille aisée, font porter la voix de l’Amérique des laissés pour compte.

Série matricielle, La Quatrième Dimension a marqué au fer rouge la génération de Shyamalan et J.J. Abrams, et influencé des dizaines de films et de séries, de Sixième Sens à Lost, de Twin Peaks à Westworld. Elle a déjà ses héritières auto-proclamées, à commencer par l’anxiogène Black Mirror, qui adopte elle aussi le format de l’anthologie pour prophétiser les dérives des technologies numériques. Jordan Peele est loin d’être le seul à partager avec Rod Serling la conviction que l’imaginaire et le divertissement sont de puissants vecteurs pour refléter et impacter l’inconscient collectif. Pourtant, parmi les enfants de La Quatrième Dimension, le nouveau prince du box-office semblait le mieux placé pour reprendre la boutique. Celui dont la colère politique, à cet instant T de l’histoire des États-Unis, semblait la plus en phase avec le propos fondamental de l’œuvre de Rod Serling.

Une nouvelle dimension
The Twilight Zone a déjà rebooté deux fois sans vraiment convaincre. En 1985, La Cinquième Dimension sur La 5 en France, et en 2002, La Treizième Dimension sur 13e Rue. Les attentes étaient grandes, donc. Et le résultat ne déçoit pas. En deux épisodes inauguraux, The Twilight Zone 2019 démontre à la fois sa parfaite compréhension de l’identité de la série d’origine et son éclatante capacité à la moderniser. Dès le premier épisode, qui raconte l’histoire d’un comédien de stand-up trop politisé pour être drôle, qui scelle un pacte faustien pour réussir à faire marrer son public, Jordan Peele se sert de sa propre image d’entertainer engagé. « Si tu ne parviens pas à faire réfléchir les gens, ton sketch ne sert à rien », fait-il dire au héros de la fable. Mais ce credo qui pourrait être le sien, l’auteur-réalisateur prend un malin plaisir à le retourner pour dénoncer l’impasse de la course au succès, comme en réponse aux détracteurs qui le caricaturent en roi du marketing.

Au passage, on rebondit sur la question du port d’armes, l’après-Me Too, le règne de la finance et les persécutions dont sont victimes les minorités. Quant au deuxième épisode, inspiré de Cauchemar à 20 000 pieds, réalisé en 1963 par Richard Donner pour La Quatrième dimension originale, il met en scène un journaliste qui, lors d’un vol aérien, croit pouvoir éviter une catastrophe en se fiant aux prémonitions d’un podcast. Peur de l’autre, fragilisation du lien social… Les thèmes sont exécutés dans un flow parfait, sans artifice ni temps mort. Peut-être Jordan Peele est-il même encore plus l’aise dans le format télé, qui l’oblige à boucler plus efficacement des concepts parfois étirés en longueur dans ses films de cinéma. Sa Quatrième Dimension est à la fois méta (la série parvient même à se citer elle-même dès le deuxième épisode !), jouissive et terriblement d’actualité. Rod Serling ne se retournera pas dans sa tombe.

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