Mytho

« Un univers entre Chabrol et Shining »

La série réalisé par Fabrice Gaubert et interprété par Marina Hands
à été primé deux fois à Séries Mania.
Interview de sa scénariste, la romancière Anne Berest.

Par Jacques Braunstein

Temps de lecture 3 min.

Mytho

Interview

Récompensée deux fois au Festival Séries Mania de Lille le 30 mars dernier, la série Mytho (Arte) a remporté le Prix du public alors que son actrice principale Marina Hands a reçu le Prix d’interprétation féminine de la compétition internationale.

Une comédie en 6 épisodes de 45 minutes réalisée par Fabrice Gobert (Les Revenants, Simon Werner a disparu…) dont on retrouve l’ambiance pavillonnaire légèrement fantastique renforcée par la musique originale de Jean-Benoît Dunckel (Air). Cette série au ton inattendu sur la chaîne franco-allemande, déploie un humour subtilement surréaliste, comme une version élégante et poétique de Desperate Housewives. Elle est écrite par la romancière et scénariste Anne Berest (Les Patriarches, Sagan 54) que nous avons rencontré lors du festival lillois. Interview.

Récompensée deux fois
au Festival
Séries Mania

Comment est née l’idée de la série Mytho ?
Depuis longtemps, j’avais envie de raconter l’histoire d’une mère qui va mentir pour réunir sa famille. L’idée préexistait donc à l’intention d’en faire une série. Pourquoi cette idée ? Le mélange de deux expériences. La (vraie) maladie de ma mère d’une part. Et d’autre part, cette réflexion qui m’a un jour traversée l’esprit, dans un moment de détresse émotionnelle, que si j’étais malade, mon entourage serait plus attentif. Ce sujet était donc dans ma tête, plutôt comme le sujet d’un roman. Mais quand le producteur Bruno Nahon (Ainsi soit-il) m’a proposé que nous travaillions ensemble, je me suis dit que ce sujet concordait avec la forme de la série. J’ai donc commencé à écrire l’histoire de cette famille, une histoire extrêmement personnelle, intime, autobiographique – en dépit de son côté déjanté. Et je crois que c’est cette sincérité qui a touché le réalisateur, Fabrice Gobert (Les Revenants). Ensemble, nous avons travaillé pour donner vie à la famille Lambert… autour de nos deux imaginaires – et grâce à Marina Hands, Mathieu Demy… et tous les autres.

Marina Hands incarne une femme qui ne se sent pas assez reconnue alors qu’elle anime sa famille, la fait exister.
L’image qui est le point de départ de la série, c’est cette mère de famille qui se retrouve toute seule face au dîner qu’elle a préparé. On l’a vue faire les courses au supermarché, elle a voulu faire plaisir à son mari, ses enfants, on l’a vue cuisiner une belle choucroute. Mais le soir, personne n’est là pour le dîner. Son mari et ses enfants ont tous d’autres choses à faire. Alors elle est dépitée, presque désespérée, parce que ce dîner du soir, si symbolique, ce moment du « tous ensemble » – elle y échoue. Il m’a semblé que cette situation toute simple racontait quelque chose sur cette petite société qu’est une famille.

D’où est née l’envie d’en faire une comédie ?
Je ne sais pas… je ne me suis pas dit, tiens, je vais en faire une comédie ! C’est venu comme ça. Les premières versions étaient encore plus burlesques. Mais parce que la vie, nos vies, sont burlesques, non ? Je viens d’une famille où l’on a hérité d’un passé très lourd, très pesant, et c’est vrai que pourtant nous rions beaucoup. Nous sommes une famille joyeuse. Cela fait partie de mon héritage familial je crois : transformer le réel en un éclat de rire, parce que c’est ce qui nous sauve.

La fille de la famille est assez masculine, le fils veut devenir une femme… Pourquoi avoir imaginé des enfants « gender fluid » comme on dit aujourd’hui ?
J’ai la chance de vivre dans une famille recomposée, et autour de moi, j’ai beaucoup d’enfants… de tous âges ! Vivre avec eux, passer des vacances avec eux, fut l’occasion pour moi d’observer la génération des 15-25 ans. C’est une génération très intéressante, débarrassée de plein de problèmes que nous avions à leur âge. Et qui se pose évidemment d’autres problèmes, qui pour moi sont passionnants. Donc je voulais trouver une façon d’être juste par rapport aux adolescents d’aujourd’hui, ne pas plaquer sur les personnages de Mytho les souvenirs de ma propre jeunesse. Mais attention, je ne voulais pas que « le genre » soit un « thème » de la série… il la traverse.

On retrouve dans Mytho l’univers pavillonnaire cher au réalisateur Fabrice Gobert (Les Revenants), étiez-vous familière de ce monde des lotissements ?
Oui. Je n’ai pas vécu dans un lotissement comme dans la série, mais dans un quartier pavillonnaire en banlieue sud – avec pleins de petites maisons les unes à côtés de autres, avec une vie de voisinage… j’ai vécu dans une banlieue plus proche de Paris que celle de Fabrice, mais tout de même, quand on s’est rencontré tous les deux, on avait cette chose-là qui nous réunissait : on n’avait pas grandi à Paris. Ce fut comme un jardin commun : s’être ennuyé, avoir rêvé loin de la grande ville. Et aujourd’hui, avec le recul, on se rend compte qu’on a vécu des choses incroyables dans ces petites villes. Par exemple, la série commence sur un meurtre, car à trois maisons de là où j’habitais quand j’avais 15 ans, un de mes copains de classe a été assassiné par sa mère… ça frappe l’esprit à cet âge !  Mon regard sur cette banlieue n’est donc ni satirique, ni exotique : c’est là d’où je viens.

Quelles étaient vos références en écrivant Mytho ?
Dans la série, il y a de nombreuses références : les miennes, celles de Fabrice, celles du chef opérateur Patrick Blossier, celles de la directrice artistique Colombe Raby, celle des acteurs, de l’équipe technique… cela en fait des références ! Et c’est assez riche, au fond, ce mélange de toutes nos cultures. Vous savez, quand vous avez 6 épisodes de fiction à fabriquer, il faut mettre ensemble les forces de chacun. En ce qui me concerne, les références, dans certaines scènes de Mytho font le grand écart, depuis les jumelles de Shinning jusqu’à l’univers des films de Claude Chabrol. Par exemple, Sexe, Mensonge et Vidéo, Palme d’Or à Cannes en 1989 est un des films qui m’a le plus marquée puisque ma mère m’a emmené le voir à sa sortie alors que je n’avais que 10 ans. Il y a une scène dans la série qui fait référence au film de Soderbergh – je ne dirais pas laquelle pour ne pas « divulgâcher » ! Mais au moment de l’écriture, je ne me dis pas consciemment, « Tiens, je vais m’inspirer de tel film. » C’est quand je me relis, que je vois là où mon imaginaire est allé puiser. Je dirais que les deux séries qui m’ont le plus nourrie pour écrire Mytho, c’est Nurse Jacky avec son personnage d’infirmière à la fois sainte et diabolique et Angela 15 ans – que j’ai vue sur la chaîne Jimmy au milieu des années 90. J’avais exactement l’âge du personnage. Un choc !

 

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