Better things

Pamela et son nombril

Série. La saison 3 de la série injustement méconnue de Pamela Adlon illustre brillament le penchant des séries actuelles pour l’autofiction.

Temps de lecture 5min

Par Caroline Veunac

Pamela Adlon est actrice à Hollywood depuis les années 80. Pas une star, non. Juste une actrice normale, avec un CV compilant des dizaines de seconds rôles dans des séries (dont la mémorable Marcy Runkle deCalifornication), autant de spots de pub et de doublages de dessins-animés. Dans Better Things, la série dont elle est l’autrice et l’interprète principale, elle raconte sa vie de quinqua qui jongle avec les castings foireux, les boyfriends fuyants ou envahissants, et l’éducation de ses trois filles à l’ère du féminisme et des réseaux sociaux. Sauf que dans la série, Pamela s’appelle Sam et ses filles sont jouées par des actrices. Après Curb your enthusiasm30 RockLouie ou GirlsBetter Things s’inscrit dans la vague d’autofictions qui stimule la comédie télé depuis une quinzaine d’années.

Tradition littéraire et culture du stand up : l’air de rien, Better Things fait la jonction entre les deux

Il fut un temps où l’autofiction rimait d’abord avec littérature. Inventé par Serge Doubrovsky pour qualifier son roman Fils en 1977, le terme désigne la démarche consistant, pour un écrivain, à remettre en scène des éléments de sa vie dans un cadre répondant aux modalités narratives de la fiction. À la clé : la création d’un espace hybride où le vrai-faux autorise à parler de l’intime sans auto-censure, et par là-même à rendre potentiellement transgressif un registre anecdotique ou familier. En France, ce sport a connu son heure de gloire dans les années 2000, sous l’impulsion d’athlètes du nom de Christine Angot, Guillaume Dustanou Emmanuel Carrère.

Du Stand Up à l’Autofiction

Si de grands écrivains américains tels que Bret Easton Ellis, Philip Roth ou Paul Auster, ont eu, eux aussi, flirté avec le genre, la flambée d’autofictions à la télé américaine semble pourtant avoir une autre origine directe : celle du stand up, cet art populaire qui consiste à venir raconter sa vie sur la scène d’un café-théâtre. C’est d’ailleurs sur l’impulsion de Jerry Seinfeld, qui jouait son propre rôle de comédien new-yorkais dans la sitcom Seinfeld dès la fin des années 80, et de son pote Larry David, incarnant son double acariâtre dans Curb Your enthusiasm, que cette tendance a vu le jour. Et nombre des meilleures autofictions télé récentes sont portées par des acteurs de stand up. La star déchue du genre, Louis C.K, au purgatoire pour cause de masturbation intempestive devant des collègues féminines, faisait son autoportrait de mec très moyen dans Louie. La géniale Tig Notaro, entrée dans la légende américano-américaine après un set où elle parlait franco de son cancer du sein, raconte dans One Mississippi ses aventures de lesbienne démocrate dans le bayou conservateur du sud profond. Le genre a fait des petits jusqu’en Angleterre, où la Londonienne Phoebe Waller-Bridge dépeint face caméra son quotidien d’urbaine cynique et dépressive dans Fleabag (dont on attend l’adaptation française avec Camille Cottin).

Pour que cette tradition du one wo.man show se prolonge et foisonne sur le petit écran, il a fallu que la comédie télé change de style. Un peu à l’étroit dans le sitcom en studio façon Seinfeld, l’autofiction s’est épanouie dans les dramédies de 30 minutes tournées en décors réels. Peut-être parce que ce format est à la fois plus réaliste et plus cinématographique, donc plus propice à la création d’un entre-deux où ce qui est raconté sonne vrai tout en relevant d’une projection. Dans ce cadre-là, les séries autofictionnelles s’imposent aussi comme les héritières du cinéma de Woody Allen, où celui qui écrit et qui réalise est aussi celui qui joue une version fantasmatique de sa propre vie.

Tradition littéraire et culture du stand up : l’air de rien, Better Things fait la jonction entre les deux. La série de Pamela Adlon, vieille copine de Louis C.K. (qui a produit et écrit des épisodes de Better Things), peut être vue comme une sœur jumelle de Louie, notamment dans sa manière d’explorer les affres de la parentalité. Mais son histoire de lignée féminine (Pamela Adlon a aussi une extravagante maman) rapportée aux micro-évènements du quotidien la rattache aussi à une famille universelle d’écrivaines ayant eu pour œuvre de mettre en littérature le fait d’être femme. Sous la plume de Pamela Adlon, comme sous celles, aussi distinctes soient-elles, de Christine Angot, Annie Ernaux ou Joan Didion, émergent des sujets jadis jugés honteux ou insignifiants. Les relations entre femmes, la maternité, la sexualité féminine – ces petits riens aux yeux du monde – trouvent à fabriquer du romanesque sans y perdre leur caractère d’authenticité, et même de manifeste.

Contourner le sexisme de l’industrie

Née en littérature grâce à Colette ou Duras, déclinée au cinéma (Agnès Varda) ou dans l’art contemporain (Sophie Calle), ce qui fut une contre-culture est en passe de devenir dominant via la fiction télé. Face aux séries « high concept », les comédies (plus ou moins) autofictionnelles permettent aux autrices contemporaines d’explorer en leur nom, avec leur voix propre, les paramètres de leur expérience. Issa Rae (Insecure), Rachel Bloom (Crazy Ex-Girlfriend), Mindy Kaling (The Mindy Project), Ilana Glazer et Abbi Jacobson (Broad City), Natasha Lyonne (Russian Dolls actuellement sur Netflix)… Elles sont de plus en plus nombreuses à se saisir de cet outil providentiel. C’est aussi, très pragmatiquement, un moyen de sortir du chômage en contournant le sexisme de l’industrie. Dans un paysage où décrocher un premier rôle consistant reste plus compliqué pour une femme, autant créer son propre véhicule et prendre les commandes. Parce que la critique de nombrilisme généralement formulée à l’encontre de l’autofiction est également plus violente quand il s’agit d’une femme, Better Things n’y échappera pas. Pamela Adlon, petite boule d’énergie tendre et gouailleuse, y est en effet de tous les plans. Mais en parlant d’elle, et même de son narcissisme, elle parle de toutes les autres. Better Things a trouvé le secret contre-intuitif de l’autofiction réussie : le personnel est universel.

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