Minari de Lee Isaac Chung

Jardin Coréen

Succès critique et commercial aux États-Unis, Minari redessine les contours du rêve américain, et marque la consécration de son réalisateur d’origine sud-coréenne, Lee Isaac Chung. Un drame familial émouvant, avec Stephen Yeun dans le rôle d’un père qui refuse d’abandonner son identité.

Par Juliette Cordesse et Caroline Veunac

22 juin 2021
Temps de lecture 5 min

Minari

Bande-Annonce

Dans les années 80, un couple et leurs deux enfants prennent le rêve américain à rebours. Dès l’ouverture de Minari, les notes de piano de la magnifique bande originale d’Emile Mosseri portent en elles une atmosphère d’émerveillement, qui s’accole aux regards de cette famille sud-coréenne quittant l’idéal soleil californien pour s’installer dans une grande caravane enracinée dans un immense champ de l’Arkansas. L’objectif est simple pour le père, Jacob : cultiver son propre potager et vivre de ses récoltes. Tout comme Nomadland de Chloé Zhao et ses communautés itinérantes, le quatrième long-métrage de Lee Isaac Chung (on avait découvert le premier, Munyurangabo, dans la section Un Certain Regard du Festival de Cannes en 2007), pense la société américaine au travers de résistances inconscientes ; de personnages qui, par le retour à la nature, contredisent un système capitaliste leur imposant de vouloir gagner toujours plus et de se réaliser personnellement dans les grandes villes. Jacob et les siens ne s’en rendent probablement pas bien compte mais, dans leur caravane, ils montrent qu’un autre genre de bonheur existe.

Il y a pourtant quelque chose de délibéré dans la démarche de Jacob, qui préfère parler coréen, même lorsque ses enfants lui répondent en anglais ; et qui ne veut pas rester dans son travail (consistant à trier les mâles des femelles poussins), alors même qu’il y est très compétent… Car sa seule volonté est de construire un Eden pour lui et sa famille, de créer son Corean dream en terre américaine. Le nom-même de Jacob, ce personnage biblique né en second mais désirant plus que tout avoir les droits de l’aîné, porte la symbolique de celui qui veut se forger son propre système plutôt que de se plier à celui déjà en place. À contre-courant des habituelles success story hollywoodiennes, où il s’agit plutôt d’adopter les valeurs dominantes, cette quête d’authenticité et la revendication de rester en lien avec son identité d’origine est reflétée par le choix de Steven Yeun pour interpréter le personnage. Rendu célèbre par une superproduction télé (il était Glenn dans The Walking Dead), l’Américano-sud-coréen opère depuis quelques années un virage vers un cinéma d’auteur plus indépendant, Minari faisant suite à l’immense Burning, de Lee Chang-Dong – premier rôle coréen de l’acteur né à Séoul et grandi dans le Michigan.

L’histoire de Minari est encore plus directement semi-autobiographique pour Lee Isaac Chung, lui-même élevé dans une petite ferme de l’Arkansas, et qui confie avoir écrit le film à partir de ses propres souvenirs. Avec Munyurangabo, il y a quinze ans, qui se penchait sur les relations entre Hutus et Tutsis après le génocide rwandais, le réalisateur nous offrait le premier film de fiction tourné en langue kinyarwanda (il abordera à nouveau ce thème dans un documentaire, I Have Seen My Last Born, en 2015). Son deuxième film, Lucky Life (2010), chroniquait les relations au sein d’un groupe d’amis assombris par la maladie d’un des leurs. Puis ce fut Abigail Harm (2012), portrait poétique et surréaliste d’une New-yorkaise, inspiré d’un conte traditionnel coréen. Dans ce cheminement, Minari, salué par six nominations aux Oscar, dont une gagnante pour la grande actrice coréenne Yoon Yeo-Jong (dans le rôle de la grand-mère), apparaît comme une étape cruciale. Celle où le réalisateur va jusqu’au bout de l’exploration de son histoire personnelle, avant que le succès ne l’emporte.

« Jacob et les siens ne s’en rendent probablement pas bien compte mais ils montrent qu’un autre genre de bonheur existe. »

Lee Isaac Chung est déjà annoncé à la tête de l’adaptation live du film d’animation japonais culte Your Name, produite par J.J. Abrams, et l’on a bon espoir qu’il ne renoncera pas à la vision revisitée du rêve américain dont est porteur Minari. Une vision qui serait celle de l’enfance. Car le regard des enfants est essentiel dans ce film, qui rappelle à ce titre Bonjour !, de Ozu, avec son personnage espiègle et comique de petit garçon, double revendiqué du réalisateur. Ici, les enfants sont ballotés entre plusieurs problèmes qu’ils ne comprennent pas – la maladie de la grand-mère qui les rejoint, les disputes de leurs parents, le souffle au cœur du petit. Dans leurs yeux, les petites écorchures revêtent la même importance qu’un énième emprunt à la banque, et les lumières dorées de la photographie, qui nimbent les champs et contrastent avec les raies blanchâtres et froides qui dardent la ville et l’usine, offrent des connotations de couleurs qui donnent corps à la part de rêve associée à la sensibilité enfantine.

Le film dresse également un joli parallèle entre la condition cardiaque du petit garçon et la condition d’immigré de son père : tous deux sont des êtres à qui l’on ordonne de ne jamais courir, à qui l’on fait croire que beaucoup de choses sont impossibles. Minari s’emploie pourtant à montrer que ce qui compte le plus n’est jamais inatteignable : ici, ce sont les autres, et surtout la famille. Le minari ou « cresson » en français, est une herbe que les immigrés coréens transportaient dans leurs poches. Poussant dans des lieux isolés, cette plante fleurit au bout de la seconde année et purifie la terre et l’eau. La métaphore est belle. Loin des tuteurs aliénants de la société, on peut grandir, se reproduire, former des communautés où on ne les attendait pas. Et participer ainsi à la préservation d’une biodiversité humaine que menacent les idéologies productivistes.

Minari est en salles le 23 juin.

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