Lola Vers La Mer – Sur les route du genre

Le road-movie sensible de Laurent Micheli nous promène sur les routes belges aux côtés d’une ado transgenre et de son père dépassé. Un film de genre à double titre. Présentation.

Par Julien Lada

Temps de lecture 5 min.

Lola Vers La Mer

Bande Annonce

Lola est une ado galérienne comme il en existe plein d’autres. En pleine période de transition hormonale, elle apprend le décès de sa mère, mais ne peut assister à son enterrement à cause de son père, qui n’accepte pas sa transidentité. Forçant son destin, elle l’entraîne alors sur les routes de son enfance pour que fille et père aille épandre les cendres de la défunte le long de la côté belge où ils passaient leurs vacances. L’occasion pour les deux d’essayer de réparer ce qui peut encore l’être, après des années sans s’être parlés.

Au fil de ses présentations dans de nombreux festivals à travers la France, Lola vers la mer, second long-métrage du cinéaste belge Laurent Micheli, s’est taillée une belle petite réputation, notamment suite à son triomphe à Angoulême fin août. D’abord, il offrait la possibilité au cinéma francophone de rattraper son retard en matière de représentation des acteurs et actrices transgenres, notamment au moment de le comparer à la production audiovisuelle outre-Atlantique (Orange is the New Black, Sense8, Pose, Euphoria). Ensuite, il annonçait la promesse de l’éclosion de la jeune Mya Bollaers, qui connaît ici son tout premier rôle au cinéma, dans un paysage des fictions francophones encore très réticent à l’idée d’offrir des rôles de personnes trans aux principales concernées, leur préférant des stars cisgenres plus « vendeuses » (Fanny Ardent, une autre Lola d’ailleurs, dans Lola Pater récemment par exemple).

Après un premier long-métrage au titre en forme de clin d’œil à Gus van Sant (Even Lovers Get the Blues), Micheli lorgne à nouveau vers le cinéma américain en s’emparant d’un genre que ce dernier a lui-même popularisé et codifié : le road movie. Un genre bien pratique pour ses contraintes narratives, souvent utilisées pour forcer deux personnes que rien ne prédisposait à se côtoyer à partager l’intégralité des péripéties ensemble. Lola vers la mer en respecte le cahier des charges avec rigueur, ce qui en constitue d’ailleurs une des limites, ces conventions très strictes rendant son déroulement parfois prévisible. Mais ce qui le rend attachant et réussi se trouve ailleurs.

Le périple routier se double d’un cheminement métaphorique, parfois politique et social

Girls Don’t Cry
Dans tout bon road movie, le périple routier se double toujours d’un cheminement métaphorique, parfois politique et social. Mais là où on pouvait s’attendre à ce que le film calque sa trajectoire sur celle de l’émancipation de Lola et l’affirmation de sa véritable identité, le cinéaste décide de retourner les attentes. Lola vers la mer est bien un roman d’apprentissage, mais il ne concerne pas le personnage auquel on pense. Ici, ce n’est pas à l’adolescente mais au père de grandir et d’apprendre sur quelque chose qui le dépasse. À l’inverse d’un autre film récent (belge, lui aussi) sur la transidentité adolescente, Girl, la transition de son héroïne n’est pas un enjeu du film puisqu’elle est déjà actée et n’est jamais remise en cause.

Il y a dans la prestation de Mya Bollaers quelque chose qui rappelle la jeune Sandrine Bonnaire de Sans toit ni loi d’Agnès Varda : revêche, effrontée, un peu insolente, elle porte sur son visage la dureté d’une jeune femme qui s’est construite contre le regard d’autrui. C’est elle qui dicte le tempo du film, notamment quand celui-ci s’arrête dans un strip-club/ love hotel en pleine campagne, dans une séquence intimiste qui culmine sur une scène de danse poignante au son du Karma Chameleon de Culture Club. Si Lola vers la mer est évidemment bâti sur ses épaules, elle offre aussi à Benoît Magimel un rôle tout en subtilité, portant sur lui cette fragilité cabossée si caractéristique de ses dernières années. Leur rencontre sonne toujours juste, ne sombre jamais dans la réconciliation binaire ou niaise. Bien que la route soit encore longue, on peut se réjouir de voir son héroïne, cheveux roses au vent, pointer sa tête à la fenêtre sur le siège avant.

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