Les Veuves

L’année des braqueuses

Film. Les Veuves de Steve McQueen est un film de braquage au féminin. Le genre de demain, s’interroge notre journaliste ?

Temps de lecture 4min

Par Théo Ribeton

En juin dernier, on a voulu nous imposer comme « film de braqueuse de l’année » Ocean’s 8, la suite / transposition au féminin de la trilogie Ocean’s de Steven Soderbergh, avec Sandra Bullock, Cate Blanchett et autres Rihanna en héritières de George Clooney et Brad Pitt. Ça n’a pas marché : le film a provoqué un ouragan de propos machos online et d’ accusations de sexisme adressées à la critique. Exacerbant les crispations là où il aurait du célébrer l’ouverture à la diversité. Quelques mois plus tard, la figure de la braqueuse est de retour avec Les Veuves bien décidées à réussir leur braquage du bon goût cinéphile. Puisque le film est signé par l’oscarisé Steve McQueen (12 Years a Slave, Shame…).

“Un gang d’hommes armés jusqu’aux dents, emmené par Liam Neeson, fuit la police de Chicago dans une fourgonnette qui finit en flammes, corps et billets inclus. ”

Il démarre justement par un siphonage du masculin. Un braquo burné qui part en couille. Un gang d’hommes armés jusqu’aux dents, emmené par Liam Neeson, fuit la police de Chicago dans une fourgonnette qui finit en flammes, corps et billets inclus. Le film accompagne ensuite les épouses des gangsters. Soit l’également oscarisée Viola Davis flanquée de la star de film d’action Michelle Rodriguez (Avatar, Fast&Furious…) ou des jeunes pousses Elizabeth Debicki et Cynthia Erivo. Elles doivent immédiatement improviser une stratégie de survie : alors que leur monde s’effondre on les soupçonne de cacher le magot.

La solution ? S’associer et braquer la chambre forte d’une villa appartenant à la famille régnante de South Chicago, dynastie d’élus masculins et blancs (Robert Duvall et Colin Farrell en tête) dont la campagne crapuleuse sert de toile de fond à l’intrigue. Mais pourquoi braquent-elles ? C’est la grande question que pose cette année de rééquilibrage des genres via Ocean’s 8Les Veuves et quelques autres. Car les braqueuses n’agissent pas pour les mêmes raisons que leurs homologues masculins (pouvoir, argent…). Elles agissent plutôt pour corriger les errements de ces derniers.

C’était déjà le cas dans Good Girls, nouvelle série NBC voyant trois bonnes filles provinciales s’improviser braqueuses de supermarché pour contrecarrer leurs ennuis matériels et leur ennui tout court. Christina Hendricks y faisait soudain tomber le masque de la housewife pour compenser manu militari la gestion financière calamiteuse de son mari. Tout comme Michelle Rodriguez dans Les Veuves reprend en main le magasin plombé par ses dettes de jeu de feu son époux.

Comme si le principe même du crime féminin répondait à une logique de nécessitée et non une logique de liberté. C’est la charge mentale de la truande !

Qui ne l’empêche pas au passage de braquer de purs enjeux de représentation.  C’est ce qui pourrit de l’intérieur Ocean’s 8 pas assez concerné par les enjeux d’un bon film de casse et obsédé par son girl power automatisé et ses pieds de nez malicieux. Et qui réussit aux Veuves où aux Bacchantes… Le roman de Céline Minard, écrivain qui s’est spécialisée dans la féminisation des archétypes et imagine une voleuse de grand vin. S’attaquant donc doublement aux emblèmes de la masculinité. Bref, 2018 est l’année des braqueuses. Elles écrivent quelque chose de neuf qui entrelace les conventions de la fiction criminelle et les piliers de la domination masculine. De ce point de vue, le casse vient à peine de commencer !

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