Le monde est à toi

La banlieue en technicolor

Film. Romain Gavras réinvente la mythologie de la banlieue française dans Le Monde est à Toi avec un Vincent Cassel et une Isabelle Adjani méconnaissables. Nous avons rencontré son acteur principal, Karim Leklou qui nous en parle. 

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Par Jacques Braunstein

Vie de quartier, bandes de jeunes, violences policières et émeutes, difficile excursion à Paris et retour blème… De Ma 6-T va craquer au Kaïra en passant par La Squale ou Les Lascars… On retrouve ces éléments plus ou moins développés et différemment agencés dans la plupart des films sur la banlieue depuis La Haine (1995). Ils reprennent le déroulement et les images forte du film de Matthieu Kassovitz.

Romain Gavras arrive à remettre à zéro les compteurs de la représentation de la banlieue

Ce qui fait l’originalité de Le monde est à toi de Romain Gavras, c’est qu’il arrive à remettre à zéro les compteurs de la représentation de la banlieue. Un quart de siècle plus tard, consciemment ou non, le cinéaste s’est débarrassé de ces clichés qu’il connaît par cœur puisqu’il a joué avec dans des clip comme « Stress » de Justice, « Born Free de M.I.A. ou « No Church In The Wild » de Jay-Z & Kanye West.

Dans son nouveau film, le réalisateur invente d’autres images, raconte une autre histoire. Un thriller entre « Go Fast » et arnaque, entre une cité de Boulogne Billancourt -celle dont est issue le rapper Booba nous semble-il- et Benidorm en Espagne. Deux univers graphiques et colorés, là ou La Haine choisissait le noir et blanc. Maillots de foot clinquants, cheveux teints, sous-sol éclairés comme des boites de nuit, piscines et voitures de sport plus ou moins bien tunées (qu’il avait déjà magnifiés dans les vidéos de « Signatune » pour Dj Medhi ou « Bad Girls » pour Mia)… Le cinéaste déploie une palette clinquante et colorée qu’il maitrise et magnifie.

Lors du Festival de Cannes Libération a parlé d’un film qui « détourne et reconduit en même temps » tous les clichés de l’époque. Ce qui serait vrai si le regard de Gavras était surplombant, qu’il détestait par principe cette vulgarité qu’il montre (comme semble le faire le journaliste de Libération). Mais Gavras aime ce qu’il filme, il lui trouve une forme de beauté et parvient à nous la communiquer.

Nous avons rencontré l’acteur principal du Monde est à toi lors du Festival de Cannes.  Karim Leklou (Réparer les vivants, Joueurs…) campe François, enfant des cités, qui la trentaine venue aimerait bien se ranger. Petit dealer qui veux s’en sortir et avoir un métier comme tout le monde : vendre des Mister Freeze au Maghreb (sic). Il nous parle notamment de ses partenaires. Vincent Cassel (déjà présent Notre jour viendra, précédent film de Gavras) qui joue justement une sorte de Vince de La Haine vieillissant, que les années de prison aurait rendu un peu fou et qui se passionne pour les Illuminati.

Et Isabelle Adjani, incroyable en mère indigne qui se déguise en princesse arabe pour aller voler dans les grands magasins à la tête d’un gang de Shéhérazade voilées. On sent bien ici que l’icône s’amuse follement à jouer avec ses origines alors que le cinéma français lui en a donné si peu l’occasion (à part peut-être dans La journée de la jupe, 2008).

Le monde est à toi est un film jouissif et plein de mauvais esprit qui évoque Tarantino, et les frères Coen. Ou Scarface dont la phrase préférée du héros donne son nom au film. Mais un Scarface visionné et fantasmé à partir d’une VHS usée. La version du film de Brian de Palma projetée sur l’écran trop grand d’un appartement trop petit d’une cité de Boulogne. Une réussite.

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