L’ombre d’Emily

Gone Girl

Film. Parodie géniale de Gone Girl (Fincher, 2014), l’Ombre d’Emily est un méta-film, hypra-drôle et méga-girly. Explications.

Temps de lecture 4min

Par Théo Ribeton

Six ans se sont écoulés depuis la publication originale du Gone Girl de Gillian Flynn. Quatre depuis l’adaptation par David Fincher, avec Ben Affleck et Rosamund Pike dans les rôles principaux. Gone Girl a fixé un nouveau canon du polar à l’écrit comme à l’écran : la femme prétendument assassinée, le mari prétendument coupable, la vérité qui lentement se désagrège, la haine tranquille des époux, l’art discret de la manipulation, et surtout la réversibilité parfaite de l’intrigue sont désormais le canevas du thriller post-2012. Vendu depuis comme des petits pains, copié, cité, réadapté (on annonce une série tirée du livre avec Amy Adam). Et aujourd’hui on entre inévitablement dans la phase parodique avec L’Ombre d’Emily.

Paul Feig, king de la comédie d’action au féminin pour le meilleur

Il est également tiré d’un roman, Disparue déjà qualifié à sa sortie de version « méta » du bestseller de Gillian Flynn. « Méta », c’est à dire avec, après, au-delà de son modèle. Le film en est la version shootée aux amphétamines. Soit une enquête sur la disparition d’une jeune mère, femme de pouvoir intimidante et secrète, partageant son existence entre une vie de famille pavillonnaire et un boulot dans la mode newyorkaise très high profile. Enquête menée par son exact opposée : une jeune maman, vloggeuse puériculture, toujours souriante et apparemment sans secret, devenue la meilleure amie d’Emily les semaines précédant sa disparition. Soit une énumération des indices girly (« mode », « jeunes mamans »…) au cœur du paysage du thriller. L’adaptation ciné mise plein pot sur ces arguments glamours.

À la réalisation, Paul Feig, king de la comédie d’action au féminin pour le meilleur, comme pour le pire (S.O.S Fantômes, Spy…). Avec, dans les deux rôles principaux, deux égéries de saga girly millionnaires : Anna Kendrick (Pitch Perfect) et Blake Lively (Gossip Girl).

Résultat : L’Ombre d’Emily est à la fois un produit très commercial et easy watching, et un film pop et hallucinatoire virant peu à peu au delirium tremens. De Gone Girl il envoie rapidement valser les fondamentaux : le climat de placidité, l’installation tranquille de principes narratifs explosifs censés renverser le récit et le faire retomber sur ses pattes. Ici la machine à twists déraille : ateliers cupcakes, confessions incestueuses, faux meurtres livestreamés, découpages de décolletés et sexe à tous les étages. Le film de Paul Feig est un plongeon décomplexé dans sa propre parodie : les revirements de l’intrigue n’ont rien de stupéfiant, mais son effronterie fait écarquiller les yeux.

Aucun soubassement moral au récit : qui est bon, qui est mauvais, la question ne se pose pas. La misogynie de Gone Girl avait provoqué des débats houleux, que d’obscurs forums tentent encore de régler, alors que L’Ombre d’Emily est purement ludique, d’incorrigiblement persifleur et définitivement ironique. Se moquant finalement autant des airs supérieurs du film de Fincher, que de la creuse frivolité des séries girly et de leur défilé de mode permanent (le moindre changement de séquence offre aux héroïnes un nouveau look d’enfer).

L’Ombre d’Emily est aux polars XXIe siècle ce que la saga Scream de Wes Craven était au cinéma d’horreur des années 80. Un film sur-conscient de lui-même, à la fois extrême et parodique. Dans un tableau satirique et post-fictionnel on s’attend à tout moment à voir un volume de Gone Girl trainer nonchalamment sur une table de chevet.

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