Come as you are

Nouvelle vague

Film. Attendu comme le grand drame indé de l’année, Come As You Are révèle au contraire toutes les mauvaises directions que prennent actuellement les teen movies.

Temps de lecture 4min

Par Théo Ribeton

Il fut un temps où un ado au cinéma, ça portait un appareil dentaire, ça se regardait anxieusement l’entrejambe, ça traversait toutes les peines du monde pour inviter l’élu de son cœur au bal de promo. C’était un être fragile et honteux, survivant à son âge transitionnel entre pulsions sexuelles incontrôlées, doute maladif de soi, harcèlement scolaire et autres joyeusetés. En 2018, ce temps est révolu : dans Come As You Are, grand prix Sundance en catégorie drame qui sort cette semaine chez nous, les ados ont pris un cinglant shoot de confiance. En migrant de la comédie populaire au cinéma d’auteur oscarisable, les teen movies semblent transformer l’âge de l’angoisse existentielle en celui de l’assurance absolue.

“Les personnages de Come As You Are relèvent du fantasme politique, érigées en porte-étendards de l’émancipation des minorités”

On avait commencé à l’observer avec  deux des puberté-movies les plus commentés de ce début d’année. L’héroïne de Lady Bird, sûre de son destin artistico-new-yorkais dont elle attendait patiemment la venue depuis sa morne province, passait le temps avec des phases amoureuses qui ne risquaient pas de la faire chanceler sur son identité. Le héros de Call Me By Your Name, lui, accueillait l’irruption de son désir homosexuel avec une totale sérénité, sans la moindre turpitude anxieuse.

Celle de Come As You Are (incarnée par Chloë Grace Moretz, révélée par Kick-Ass) s’appelle Cameron et est habitée par la même force intérieure. Orpheline, recueillie par une tante bigote qui souhaite la « guérir » de son attirance pour les filles, on l’envoie se faire laver le cerveau dans un de ces instituts intégristes anti-gay. Heureusement pour elle, l’expérience ne marche pas, produisant même l’effet inverse : Cameron, avec deux potes qu’elle se fait sur place, vit au pensionnat de God’s Promise une espèce d’épanouissement en contre. Cernée par l’homophobie la plus monstrueuse, elle fignole sa carapace et ne laisse rien l’atteindre. Moretz joue à peine : tout le film ne donne à lire sur son visage muet qu’une espèce de quiétude supérieure, indéchiffrable.

Ce n’est pas le cas de tous les pensionnaires : la population de l’établissement est très clairement séparée entre celles et ceux sur qui le brainwashing fonctionne, gagnés par un écœurement envers leur propre orientation, et les autres, tout à leur ataraxie de beaux corps queer immunisés contre la laideur morale et physique des réacs. C’est d’ailleurs le premier problème : une façon de sauver les uns et pas les autres, de mettre dos à dos une Amérique ringarde, hétéro, religieuse et laideronne, qui est évidemment celle de Trump, et une Amérique progressiste, cultivée, diverse, et sublimée. Et que le film soit sensé se dérouler en 1993 et emprunte son titre à Nirvana ne change rien à l’affaire.

Mais le problème qui nous préoccupe particulièrement, c’est le devenir assez terrifiant du genre teen movie, frappé par un désintérêt pour la fragilité, la souffrance propre à cet âge. Les personnages de Come As You Are relèvent du fantasme politique, érigés en porte-étendards de l’émancipation des minorités. Et le grand prix que Sundance a attribué au film est évidement un « geste symbolique » une « réponse au conservatisme ambiant », etc. en corrélation avec l’époque. Il épouse la perception ambiante de l’adolescence comme âge de la puissance et de la certitude politique, incarné notamment par une figure nouvelle comme Emma Gonzalez, survivante de la tuerie de Parkland devenue militante anti-armes.

Mais le résultat ressemble aussi et surtout à une liquidation de l’intime, accolée à une standardisation de l’adolescent idéal, propre, beau, intouchable. Comment le teen movie, passant de l’exacerbation de la faiblesse à celle de la force, pourra-t-il continuer de guérir, de cicatriser les ados du monde réel ? Quelles failles peut-il combler s’il refuse de regarder les siennes ?

Il n’y a pas de hasard : l’an dernier, la même Chloë Grace Moretz avait joué Carrie dans une nouvelle adaptation du roman de Stephen King, quarante ans après celle de Brian De Palma. Le remake est passé totalement inaperçu. Le concentré horrifique d’angoisse sociale, de terreurs sexuelles et de brimades renversé en flots de destruction dans Carrie, serait-il devenu moins intéressant que la jeunesse lyophilisée de Come As You Are ? Est-ce donc ça la nouvelle adolescence ? Espérons ce qu’espèrent les parents confrontés à cet âge : que ce ne soit qu’une passade.

VOIR AUSSI