Cinétique, les journées du cinéma en mouvement

Somewhere Else et Dulac Cinémas unissent leur force pour vous proposer une sélection hebdomadaire de films, accompagnés d’animations pour nourrir votre projection. Cette semaine, on profite de l’arrivée de Paranoïd Park de Gus Van Sant sur Mubi pour faire le tour des films de skate.

Par Paul Rothé

Temps de lecture 5 min

En 1966 sort le plus grand film de surf de tous les temps, le documentaire Un été sans fin de Bruce Brown. C’est également l’année où le Québécois Claude Jutra réalise l’un des premiers films sur le skate, Rouli-roulant. La coïncidence de ces deux marqueurs en pleine décennie contestataire n’est pas un hasard. Sur l’écume ou sur le bitume, la glisse s’y révèle plus qu’un sport : une contre-culture, un état d’esprit, une génération. En s’intéressant à ceux qui dévalent le macadam, les films de skate cherchent à capter la jeunesse d’une époque, parfois libre, parfois livrée à elle-même, mais toujours rebelle. On a sélectionné pour vous quelques-unes de ces œuvres qui racontent l’histoire du skate au cinéma.

Le plus Nouvelle Vague : Rouli-roulant (Claude Jutra, 1966)

Coup de cœur pour ce documentaire de 15 minutes, à la fois cinéma direct et Nouvelle Vague, produit par l’Office national du film du Canada. Réalisé en 1966 par le Québécois Claude Jutra, Rouli-roulant est l’un des premiers films sur le skateboard. Avec ironie, le cinéaste s’amuse à présenter les jeunes skateurs comme de vrais dangers : alors que des cris de loups résonnent, on les voit déferler telle une meute dans la rue. Interdits de rouler dans l’espace public, coupés dans l’élan de liberté qui leur est vital, les mômes sont fermement conviés par la police à s’entraîner dans un triste gymnase. C’est une jeunesse à la Doisneau ou à la Truffaut dans L’argent de poche (1976) que vient filmer Claude Jutra, avec ces bouilles malicieuses bien décidées à déroger à l’autorité des adultes. Les commentaires de Charles Denner en voix-off viennent parfaire ce petit film modeste, mais tout simplement savoureux.

Le plus sensoriel : Paranoïd Park (Gus Van Sant, 2007)

Gus Van Sant est un cinéaste de la contre-culture : héritier de la Beat Generation, il n’a eu de cesse – dès son premier long-métrage Mala Noche en 1986 – de filmer les minorités et la marginalité dans la bouillonnante ville de Portland. Dans Paranoïd Park, le cœur de l’intrigue se situe dans un skate-park malfamé de la ville de l’Oregon, symbole d’un monde à part et incompris par tous ceux qui n’en font pas partie. Lorsqu’un homme y est retrouvé mort, le policier en charge de l’affaire tente naïvement d’apprendre à le connaître pour les besoins de son enquête. « C’est pas une communauté, on se connaît pas », rétorque un jeune skateur. Insaisissable, le personnage principal, Alex incarne une adolescence mouvementée et habitée par un sentiment d’étrangeté, que les ralentis et le travail du directeur de la photographie Christopher Doyle viennent manifester et magnifier. Filmées en 8 mm, les longues séquences de skate hypnotisent, captant magistralement les balancements des corps sur les planches. Comme une board, la caméra glisse et suit la vie faussement lisse de ce jeune homme solitaire aux contours indéfinis.

Le plus punk : The Smell of Us (Larry Clark, 2014)

Dans un style moins planant et plus âpre, la filmographie de Larry Clark, autre chantre des marges, est indissociable de la board culture. En 1995, à un peu plus 50 ans, le photographe et cinéaste se met au skate pour suivre, dans Kids, le quotidien d’un groupe d’ados poussant à New-York comme des herbes folles, entre drogue et sida. Ken Park (2002), puis Wassup Rockers (2005), confirmeront sa fascination pour les bandes de skateurs, qu’il élargira quelques années plus tard à une autre aire géographique. Tourné à Paris en 2014, The Smell of Us montre que cette communauté très associée au monde anglo-saxon s’exprime en réalité partout. La première scène donne le ton : sous l’œil du natif de l’Oklahoma, des ados parisiens sautent avec leurs planches au-dessus d’un SDF allongé au sol. Où qu’elle soit, la jeunesse selon Larry Clark dresse son majeur à qui veut bien le regarder, mais surtout se consume et s’auto-détruit. À travers ces ados à la vie chaotique, rongés par l’inceste, la prostitution et la drogue, joués en partie par des acteurs non-professionnels et filmés avec la crudité habituelle du cinéaste, le skate rime avec le mal-être universel de la jeunesse contemporaine.

Le plus initiatique : 90’s (Jonah Hill, 2018)

Pour son premier long-métrage, Jonah Hill signe avec 90’s le récit initiatique d’un garçon à l’aube de la puberté, le temps d’un été à Los Angeles. Sunny Suljic, jeune acteur à la bonne frimousse aperçu dans le film de Yórgos Lanthimos Mise à Mort du Cerf Sacré (2017), joue ici Stevie, enfant d’une famille monoparentale maltraité par son grand frère. C’est au contact de skateurs plus âgés que le petit garçon sage va s’encanailler, mais aussi trouver une échappatoire et s’émanciper. Le skate comme deuxième famille : c’est ainsi que Jonah Hill filme le monde de la glisse, où il a lui-même traîné durant son adolescence. Même si l’acteur-réalisateur affirme ne pas avoir fait un film autobiographique, l’atmosphère rétro de 90’s, filmé en 16mm, est empreinte de nostalgie. Avec son esthétique aboutie, ce teen movie sensible montre le versant positif d’une contre-culture qui aide aussi les jeunes à se construire et à affirmer leur identité.

Le plus féminin : Skate Kitchen (Crystal Moselle, 2018)

Et les filles ? Jusqu’à Skate Kitchen, réalisé en 2018 par Crystal Moselle, elles ne tenaient que des rôles secondaires dans ce milieu très masculin. Dans son troisième film, la jeune documentariste chouchou de Sundance passe à la fiction pour mettre en scène les skateuses du collectif Skate Kitchen, qu’elle a repérées dans le métro new-yorkais. Il était en effet temps que le cinéma reflète l’explosion du skate chez les filles de la génération Millenial et des suivantes, qui s’illustrait déjà dans la multiplication des comptes Instagram de skateuses-infuenceuses, comme Sierra Prescott ou Elise Crigar, et que l’on peut constater de visu dans toutes les capitales du monde. Skate Kitchen filme les filles sur leurs planches, n’hésitant pas à venir défier les garçons dans les skate-parks. Des filles qui parlent aussi de leurs agressions sexuelles, des conflits familiaux et du sexisme auquel elles sont confrontées. Dans la lignée de Bliss (2009), le film de roller derby avec Drew Barrymore, Skate Kitchen, qui aura son spin-off sériel, Betty, deux ans plus tard, affirme la place des filles dans la glisse, en mettant l’accent sur l’émancipation et la sororité.

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