Le Grand Bain

Le déclin de l’empire masculin

Film. En plongeant la dream team du cinéma français dans le chlore d’une piscine municipale, Gilles Lellouche réussit une excellente comédie sur la fin de la domination masculine.

Temps de lecture 4min

Par Jacques Braunstein

Ces dernières années, Gilles Lellouche est devenu un acteur central du cinéma français grand public (La French, Le sens de la fête, Plonger…). Il a pourtant débuté comme réalisateur de publicité dans les années 90. Et il avait déjà co-réalisé deux long-métrages, le tarantinesque Narco avec Guillaume Canet en 2004 et le film à sketchs Les Infidèles en 2012, avec Dujardin et Canet encore.

Le Grand Bain reprend les choses à zéro, et alors que sa gestation est ancienne, c’est pourtant un film post #MeToo.

Le Grand Bain, premier film en solo de Gilles Lellouche, et premier film qu’il réalise sans y apparaitre comme acteur, rappelle les deux précédents. Il s’ouvre sur une séquence à la limite du dessin animé qui évoque le premier et ne se révèle guère indispensable. Comme si le réalisateur devait d’abord s’extraire de son histoire, solder sa dette envers Tarantino, Fincher & co, avant de s’attacher à son objet : le désarroi du mâle contemporain. Les Infidèles lui aussi montrait des hommes déboussolés. Inégal mais plaisant parfois, gênant à d’autres moment, il suivait des mecs pour qui la conquête sexuelle était la dernière aventure. Et même s’ils étaient pathétiques le plus souvent, le film semblait les absoudre. Des affiches provocatrices avaient fini de décrédibiliser le projet en provoquant l’ire des féministes (ce qui ne l’empêcha pas de totaliser plus de 2 millions d’entrées).

Le Grand Bain reprend les choses à zéro, et alors que sa gestation est ancienne, c’est pourtant un film post #MeToo. Les hommes qu’il présente vivent dans les ruines de l’empire masculin et ne la ramènent plus. Benoît Poelvoorde est un petit patron en faillite, Matthieu Amalric un cadre au chômage en dépression, Jean-Hugues Anglade un rocker qui n’a jamais rencontré le succès et Guillaume Canet un industriel sanguin (au point d’avoir rendu son fils bègue et d’être quitté par sa femme à force de les martyriser). Chacun incarne un des totems masculins du vingtième siècle, démonétisé par la société contemporaine*. Citons encore Philippe Katerine le gardien de piscine qui se sent inutile depuis que la gestion du bassin a été informatisée et Félix Moati, aide soignant dans une maison de retraite, qui incarnent un nouveau prolétariat déqualifié et interchangeable qui a succédé à la figure virile de l’ouvrier.

Mais Le Grand Bain évite d’être un film politique qui assène ses vérités. Son idée de départ lui permet de montrer tout cela en décalant le propos à la manière de comédies anglaises comme The Full Monty, Les Choristes ou Pride.

Un ancien duo de championnes de natation synchronisée (Leila Bekhti devenue paraplégique et Virginie Efira qui a sombré dans l’alcool) propose à ces hommes au rebut de former une des premières équipes masculines de la discipline. Un peu gros, un peu vieux, en moule boules, bonnets et claquettes, la fine fleure du cinéma français n’a pas fière allure au bord du bassin…  Mais les scènes s’enchaînent, tantôt drôles, tantôt tendres, tantôt grotesques. Et le film touche juste, toujours complice de ses personnages mais jamais de leurs illusions. Une réussite !

*On notera d’ailleurs que Guillaume Canet poursuit le même genre de réflexion, sur un ton parfois plus agaçant, dans ses propres films comme Les petits mouchoirs, Rock’N’Roll et bientôt Nous finirons ensemble (le 27 mars en salle) qui ont en commun d’avoir Gilles Lellouche comme acteur.

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