Yves- Le frigo chantant

Comédie qui a fait sensation à Cannes, Yves de Benoît Forgeard est aussi un film musical.
Nous avons rencontré Bertrand Burgalat sur la Croisette qui en a écrit la B.O. Interview.

Par Jacques Braunstein

Temps de lecture 4 min.

Yves

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Yves est un frigo, c’est même le premier film dont le héros est un frigo. Mais un frigo intelligent, connecté, doué de la parole et sans doute d’une conscience. Il est installé pour un test chez Jerem (William Lebghil), rappeur dilettante qui vit dans le pavillon de sa grand-mère décédée. Lui veut surtout profiter de la nourriture gratuite incluse dans le test. Et, accessoirement, il n’est pas insensible au charme de So (Doria Tillier), qui
supervise l’opération pour la start-up Digital Cool. Ils vont former une sorte de ménage à trois composé d’un homme d’une femme et d’un frigo. Très vite, Yves va aider Jerem dans ses compositions. Avant de s’émanciper et de devenir lui-même un star de la chanson, candidat de la France à l’Eurovision. Fable futuriste, le film est une sorte de version comique d’un épisode de Black Mirror.

Le cinéma de Benoît Forgeard n’est pas absurde,
c’est plutôt du cinéma d’anticipation.

Bertrand Burgalat, patron du label Tricatel (Chassol, Christophe Willem, Michel Houellebecq, Valérie Lemercier…) est l’auteur de sa musique. Nous l’avons interviewé à Cannes dans le cadre des rencontres SACEM. Il est depuis longtemps le complice du réalisateur Benoît Forgeard (Gaz de France) avec lequel il avait notamment crée le « Ben & Bertie Show » sur Paris Première. « Le cinéma de Benoît n’est pas absurde, pas dans la pochade, c’est plutôt du cinéma d’anticipation. Mais d’anticipation à très court terme… A l’Eurovision cette année il y avait un candidat entouré de robots. C’était presque une scène de Yves. »

Y a-t-il une écriture musicale propre à la comédie ?
Je ne pense pas. La musique d’un film, c’est une ligne d’une partition plus large. J’écris le violon, mais la ligne du violoncelle joue parfois la même mélodie, parfois l’harmonie, ou va avoir des dissonances. Donc, si une scène est triste, il ne faut pas forcement mettre une musique triste. Pour moi, les choses les plus mélancoliques ne viennent pas forcement des musiques les plus sombres. Et la musique de comédie c’est pas forcément hyper rapide… Les musiques de Vladimir Cosma sont géniales (Le grand blond avec une chaussure noir, l’Aile ou la cuisse, la Chèvre… ), mais en dehors du contexte elle ne sont pas comiques du tout. Elles sont assez nostalgique même (il commence à fredonner la musique du Grand Blond). La musique de film c’est une question de langage, de compréhension. Il faut comprendre ce que cherche à exprimer le réalisateur.

Vous jouez également un juge dans le film…
Souvent au départ je dois faire la musique d’un film… Et puis le réalisateur me dit : « ce serait marrant que tu dises une phrase ». Et puis je dis la phrase et c’est quelqu’un d’autre qui fait la musique. Au bout d’un moment j’en ai eu marre.

J’y suis revenu avec les films de Eva Ionesco (My Little Princess, Une Jeunesse dorée dont il a écrit la musique, figurant même dans le second). Je ne suis pas acteur, j’ai toujours peur de flinguer le film. Mais c’est marrant, ça permet de voir comment se passe le tournage. La dynamique sur le plateau, c’est assez intéressant de la voir de l’intérieur. Comment sont traités les figurants par exemple. Ça m’instruit pour écrire la musique.

Jerem, le héros humain du film est rappeur, une musique assez loin de votre univers…
Le rap est un genre hyper codifié. Il fallait que les trois morceaux du film soient crédibles et moi j’aurais fait des pastiches. C’est donc MiM et Tortoz, de vrais producteurs de rap, qui s’en chargent, comme ils l’auraient fait pour un véritable artiste. Les textes sont déments, drôles (comme le démontre le morceau Carrément rien à Branler auquel participe ici Philippe Katerine qui joue le manager de Jerem dans le film).

Moi, je me suis occupé du reste et notamment des chansons qu’on entend lors du concours de l’Eurovision. Faire un Fado ou de la variété italienne c’est dans mes cordes. Comme le morceau allemand inspiré de Rammstein qui déjà pompe Laibach (groupe d’indus Slovène que Bertrand Burgalat a produit dans les années 90).

Comment décidez-vous d’accepter de faire la musique d’un film, ou pas ?
Quand on me dit « ce réalisateur s’y connaît en musique », je me dis « au secours ! ». C’est comme un mec qui s’y connaît en boxe. T’es boxeur ou t’es pas boxeur… On ne demande pas à un réalisateur d’avoir bon goût en musique et surtout pas de vouloir le montrer en mettant tel ou tel morceau ou référence dans son film. Ce qui est important c’est qu’il ait une vision et qu’il soit capable d’écouter un morceau qui n’est pas terminé et voir ce que ça va donner…

En plus, maintenant il y a souvent des superviseurs musicaux… On te fout dans les pattes un mec payé mieux que toi qui rassure les producteurs. Il est là pour faire l’intermédiaire entre le réalisateur et le compositeur et choisir des morceaux à mettre dans le film. Ce qui fait des bandes-son des espèces de karaokés de hits. Alors que pour moi, un film c’est une œuvre originale qui doit avoir une musique originale. Même s’il y a de très bons contre exemples comme Tarantino ou Kubrick. Lui, il prenait une musique existante et en faisait une musique originale révolutionnaire. Quand il a demandé la version de Karajan de « Ainsi parlait Zarathoustra » pour 2001, celui-ci a refusé. Mais Kubrick l’a quand même utilisé, légèrement accéléré, en prétendant que c’était celle de je ne sais quel obscur orchestre.

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