SÉBASTIEN TELLIER : MANY LIVES

Deconstructing Tellier

Bourgeois ou bohème, dieu de la pop ou gourou de la musique expérimentale… Difficile de délimiter les contours de Sébastien Tellier. Dans un documentaire présenté au festival Artekino, qui se déroule en ligne pendant tout le mois de décembre, François Valenza tente de faire le point sur ce musicien aux multiples facettes.

Par Quentin Moyon

Temps de lecture 5 min.

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Quelle est « l’incroyable vérité » que cache Sébastien Tellier sous sa barbe et ses costards blancs, depuis la sortie de son premier album en 2001 ? Quelles identités l’artiste natif du Plessis-Bouchard, à vingt minutes de Paris en transilien, qui fut terrassier au Stade de France avant de devenir prophète de l’électro, sublime-t-il dans ces performances musicales et son image de crooner post-moderne ? La réponse est loin d’être unique. Sébastien Tellier est une âme complexe, et cette multiplicité est le sujet-même de Many Lives, le documentaire que lui consacre son collaborateur et ami, François Valenza.

Le sujet était apparemment si retors que le film a mis huit ans à voir le jour. Pour tenter d’éplucher les couches de l’oignon dans le bon ordre, le réalisateur s’attache à la chronologie de la carrière de Tellier, qui débute justement avec L’Incroyable Vérité, l’album des premiers pas, produit au tournant du siècle par le visionnaire Marc Tessier du Cros, fondateur avec le groupe Air du label Record Makers. Le musicien y dévoile déjà une dualité janusienne. Lui, le fumeur de bédo sensible et névrosé, se rêve omnipotent et universel. Alors il réalise un album sans percussions, car ce sont elles qui indiquent le milieux à quelle tendance musicale se rattache un morceau, et Sébastien Tellier veut s’élever au-dessus de ces contingences.

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Images d’archives, extraits d’interviews de ses pairs et prestations live… Pour décrypter la sensibilité muable de celui qu’il admire, François Valenza (qui ressemble d’ailleurs de manière troublante à son copain Sébastien), assemble les morceaux du puzzle sur sa table de montage. Ce que cherche à démontrer le film, c’est que l’essence du musicien se trouve justement dans ce morcellement, cette versatilité. Politics (2004), Universe (2006), Sexuality (2008)… les albums s’enchaînent sans forcément se ressembler, si ce n’est dans leur ambition conceptuelle, souvent nourrie d’influences musicales ou littéraires, de Jean-Michel Jarre à Michel Houellebecq. Évolutive également, l’apparence du musicien a muté sous nos yeux, dandy à la pilosité florissante, Jésus de la French Touch, aristo d’un showbiz désargenté, puis gourou sectaire à la sortie de son album My God is Blue en 2012… À la manière d’un Philippe Katherine, Sébastien Tellier travaille son look sous l’angle de la poésie performative, comme autant de masques qui le révèlent tout en le dissimulant. Un personnage au sens cinématographique du terme, comme le souligne François Valenza en intégrant tout au long du documentaire des inserts du Nonfilm, de Quentin Dupieux, où Sébastien Tellier jouait un hasardeux scénariste-acteur du nom de 144. Dans sa musique comme dans ses apparitions publiques, il n’a cessé de se rendre inénarrable, et Many Lives ne cherche pas à donner une réponse à ce mystère savamment entretenu.

L’approche est intéressante, d’autant plus qu’elle s’articule autour d’un vide : celui de Sébastien Tellier lui-même. On voit en effet parler ses complices de toujours, le musicien Rob, les producteurs Marc Tessier du Cros et feu Philippe Zdar, le chanteur Christophe ou la moitié de Air Nicolas Godin. Mais lui n’intervient que dans des bribes d’archives, et cette absence ne fait que renforcer sa mystique. Souvent pris pour un guignol, caricaturé par les médias – comme en témoigne son passage télévisé à On n’est pas couché en 2012 –, adulé aussi par celles et ceux dont le cœur se brise encore à la dix-millième écoute de La Ritournelle ou de L’Amour et la violence, Sébastien Tellier ne se laisse pas réduire, à la fois esthète pointu chevillé à sa quête de pureté créatrice et star populaire capable de représenter la France à l’Eurovision (en 2008, avec le titre Divine).

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Sous les multiples déguisements et la fausse mégalomanie, le documentaire laisse pourtant entrevoir la mélancolie d’un grand sensible, nostalgique de ses vacances de jeunesse à Biarritz (évoquées dans le morceau Roche). Et pourtant même lorsqu’il renoue avec les origines, c’est la créativité qui l’emporte, et le documentaire s’achève sur la sortie de son album L’aventura en 2014, dans lequel il s’invente une autre enfance, sous le soleil du Brésil. Many Lives, « de nombreuses vies »… C’est bien à cela qu’aspire ce musicien karmique, jamais ni tout à fait lui-même, ni tout à fait un autre.

Sébastien Tellier : Many Lives est à découvrir dans le cadre du festival Artekino, du 1er au 31 décembre 2020.

Plus d’informations ici : https://www.artekinofestival.com/page/edition

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