Le crépuscule est morose

Il y a des sales matins où il faut dire adieu à Christophe. Le chanteur, qui souffrait
d’un emphysème et aurait contracté le Covid-19, est mort jeudi soir à Brest.
Retour sur le parcours d’un musicien amoureux du cinéma.

Par Caroline Veunac
Photo Ferial A.K

Temps de lecture 10 min.

On croyait que les créateurs de la nuit étaient immortels. La disparition de Christophe, vaincu dans la soirée du 16 avril par les complications d’un emphysème pulmonaire que le Covid-19 aurait précipité (même si son épouse n’a pas mentionné le virus dans le communiqué annonçant son décès), vient sonner le glas de nos pensées magiques. « Et en moi, va l’irréversible », chantait-il dans Drone, l’une des plus belles chansons des Vestiges du Chaos, son album sorti en 2016. Irréversiblement, le chanteur de 74 ans emporte avec lui sa mythologie de génie noctambule et cinéphile, qui, de minuit à l’aube, extirpait des chansons de son âme et regardait des films par centaines, de Paradis Perdus en Fureur de Vivre. Et, dans son sillage, faiblissent encore un peu les échos du yéyé, dont il fut l’élève le plus iconoclaste.

Du cri d’amour d’Aline en 1965, énorme tube qui l’institua chanteur à midinettes et donna une idée de prénom à toute une génération de parents, à ses recherches plus expérimentales mais toujours mélodiques du siècle suivant, en passant par les chansons culte de sa période crooner seventies (Les Mots Bleus, Les Paradis Perdus), Christophe ne se sera jamais renié. Lors que de sa dernière tournée en 2017, devant un public où communiaient les boomers nostalgiques et leurs hipsters de progéniture, il mettait la même générosité à entonner pour la dix-millième fois Les Marionnettes qu’à susurrer la poésie électro des Vestiges du chaos, écrite avec son vieux complice Jean-Michel Jarre.

Pétri à la fois de chanson française, de blues américain et de rock psychédélique, quelque part entre Bécaud, Pink Floyd et John Lee Hooker, Daniel Bevilacqua dit Christophe se plaisait à surjouer son personnage de dandy faussement ringard, mis en chanson dans Succès fou en 1990. Avec sa silhouette frêle, tee-shirt échancré et veste de blazer comme simple uniforme, il naviguait à l’aise entre le chanteur de bal à l’humour potache et le beau bizarre hypersensible, et c’était déjà du cinéma. Ce cinéma qu’il aimait comme un fou, immense cinéphile et collectionneur averti – c’est paraît-il à lui que fit appel le directeur de la Cinémathèque française Henri Langlois pour trouver une copie en VO sous-titrée de La Strada lors d’un passage de Fellini à Paris. Fou de Kazan, Lynch ou Visconti, Christophe était un esthète en cinéma comme en musique, et ses chansons ressemblaient souvent à des extraits de scénarios – « Il est six heures au clocher de l’église/dans le square les fleurs poétisent/une fille va sortir de la mairie… » Quand elles n’évoquaient pas directement, comme Señorita, les icônes de l’Âge d’or hollywoodien.

Les mots bleus

Il semblait donc naturel que Christophe compose pour le cinéma. Dès 1967, sa musique accompagne les expérimentations d’un Georges Lautner en pleine phase hippie dans La Route de Salina, un film-trip où se croisent Mimsy Farmer et Rita Hayworth ( !). Un des thèmes écrits pour l’occasion, Sunny road to Salina, sera plus tard repris par Quentin Tarantino pour illustrer une scène de Kill Bill 2. Difficile de faire plus chic.

Pourtant cette mémorable première fois ne fera pas légion, et Christophe attendra près de cinquante ans pour refaire quelques scores de films, pour HPG (Fils de, 2014), Sophie Fillières (Arrête ou je continue, 2014) ou Camille Fontaine (Par accident, 2015). Mais entretemps, l’homme et sa musique auront nourri des imaginaires de cinéastes. En 2004, Alain Corneau s’inspire de sa chanson dans Les Mots bleus. Deux ans plus tard, Xavier Giannoli lui offre un petit rôle et utilise Les Paradis Perdus dans Quand j’étais chanteur, où Gérard Depardieu incarne un chanteur de thé dansant.

Sans doute plus spectateur que faiseur de cinéma, Christophe se sera contenté d’incursions amicales dans le septième art, qui témoignent à leur manière de son côté tout terrain, à la fois pointu et popu. Capable de faire un caméo dans un épisode de Scènes de ménage en 2014 et de signer la BO de Jeanne, le dernier film de l’exigeant Bruno Dumont, il donnait l’impression de prendre l’art très au sérieux, mais pas lui-même. Avant de partir, il avait tourné dans Sol y Sombra, de la cinéaste Dominique Abel. Le film est encore en post-production, mais on croit comprendre que Christophe y joue un rôle qui sonne aujourd’hui comme un dernier clin d’œil poétique : celui de l’Ange.

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