Les clips de l’été #2
Control Swift
Pour passer le temps pendant le confinement, certains font des cocottes en papier. Taylor Swift, elle, a composé un nouvel album surprise de 16 chansons, qui pourrait bien être son meilleur. Et tant qu’elle y était, elle a aussi réalisé le clip du premier single, Cardigan. En toute simplicité.
Par Caroline Veunac & Quentin Moyon
Temps de lecture 5 min.
Taylor Swift – Cardigan
Control freak, Taylor Swift ? Et si ce terme péjoratif était juste une pique machiste pour tenter de dévaloriser une jeune et jolie blonde qui aurait en plus le toupet d’avoir un talent fou, une ambition créative débridée et une idée très précise de la forme qu’elle veut donner à son travail ? La réponse est évidemment dans la question. La bonne nouvelle, c’est qu’à 30 ans révolus, forte d’une communauté de 50 millions de fans, la chanteuse américaine n’en a plus rien à faire de ce que les petits garçons insécures peuvent bien penser d’elle. En pleine possession de ses moyens artistiques, Taylor Swift s’affirme de plus en plus comme une femme-orchestre, capable de maîtriser toutes les étapes de sa création, en collaboration avec les meilleurs dont elle a le pouvoir et le bon goût de s’entourer. La preuve avec Folklore, son huitième album sorti fin juillet, qu’elle a écrit et composé durant le confinement avec les producteurs Jack Antonoff et Aaron Dessner, dont elle a imaginé le design visuel, et dont elle a réalisé le premier clip, celui de Cardigan, avec l’aide de Rodrigo Prieto, le directeur photo de Scorsese et Iñarritu.
Dans cette balade mélancolique, Taylor Swift déroule avec une lucidité juste un peu sucrée le sentiment d’être regardée et désirée par un garçon pour la première fois. Et pour mettre en images cette émotion ténue, elle va puiser dans un réservoir de citations cinématographiques, qui composent un univers oscillant entre la fin de l’enfance et l’éclosion de la féminité. C’est souvent de là que Taylor Swift chante : ce moment fragile où l’on bascule de l’état de petite fille à celui de femme, cette mue qu’elle regarde dans le rétro, avec une « girlitude » assumée qui ne s’est pas perdue.

Vêtue d’une chemise de nuit et d’une coiffure tressée qui évoquent à la fois une petite fille d’un autre temps et les jeunes filles en fleur de Pique-Nique à Hanging Rock et Virgin Suicides, la chanteuse met en scène un processus où il s’agit de retourner au vert paradis de l’enfance, en ouvrant un coffre magique qui rappelle aussi les scènes merveilleuses du Labyrinthe de Pan de Guillermo Del Toro. Telle la Wendy du Peter Pan de Disney, auquel les paroles de la chanson font directement référence, elle pose le pied sur une île luxuriante, un Neverland où l’on resterait un enfant pour toujours. Mais voilà qu’une tempête la jette dans une mer aussi déchaînée que les tourments de la puberté, et qu’elle n’a plus que son piano, comme l’héroïne du film de Jane Campion bouleversée par la découverte du désir, auquel se raccrocher. Un piano qui lui permettra, une fois revenue au sec dans la cabane qui lui fait office de studio, de transformer les souvenirs de son expérience en chansons.

Déclinée sur tout le packaging de l’album, cette imagerie à base de nattes blondes et de chemises de nuit en lin blanc n’est pas juste cosmétique : elle illustre très exactement le sujet premier de l’album, et la quintessence de la sensibilité de Taylor Swift. Le talent de l’artiste et entrepreneuse est aussi d’en faire un argument marketing, un petit champ d’easter eggs à chercher derrière telle détail du plan ou tel lyric, une sorte de mystère à décoder pour capter notre curiosité. Sans cynisme, mais avec une maîtrise implacable, Taylor Swift articule son inspiration et sa communication, tisse entre la création pure et la promotion de son image des liens fructueux. Et devient la cheffe d’orchestre absolue de la perception que l’on a d’elle.
Voir aussi