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Tigerland, comme des tigres en cage

Somewhere Else et Dulac Cinémas unissent leur force pour vous proposer une sélection hebdomadaire de films, accompagnés d’animations pour nourrir votre projection. Cette semaine sur Somewhere Else, gros plan sur Tigerland, film de Vietnam daté de 2000, où Joel Schumacher met pour la première fois Colin Farrell sur le devant de la scène. Actuellement disponible sur Mubi.

Par Paul Rothé et Caroline Veunac

Temps de lecture 5 min

Tigerland

Bande-Annonce

Décédé l’an dernier à l’âge de 80 ans, Joel Schumacher laisse derrière lui une œuvre aussi riche qu’hétérogène. Celui qui débuta comme costumier dans les années 70, puis passa derrière la caméra en 1981 avec La Femme Qui Rétrécit, a surfé la vague hollywoodienne pendant près de 40 ans sans jamais s’enfermer dans un seul genre. Comédie romantique (Cousins, 1989) ou musicale (Le Fantôme de l’Opéra, 2004), thriller (8 millimètres, 1999), mélo (Le choix d’aimer, 1991), blockbuster (Batman Forever, 1995)… Son flair et son opportunisme lui ont permis de traverser toutes les modes, avec plus ou moins d’inspiration et de succès, mais en retombant toujours sur ses pattes. À l’aube des années 90, il électrise les ados avec L’Expérience interdite (gros carton mondial et statut culte) ; quelques années plus tard, il déçoit les fans de Batman en réalisant les deux volets post-Tim Burton ; et quand il tente de se refaire en proposant des « petits films » moins commerciaux, 8 millimètres et Personne n’est parfait(e), la critique se bouche le nez et le public ne le suit pas.

Sorti en 2000, juste après ces deux flops, Tigerland ne fera guère mieux au box-office, malgré une presse plutôt favorable. Revu aujourd’hui, le film se range dans la catégorie des bons Schumacher, ceux qui témoignent de la capacité du briscard à tirer les ficelles de l’efficacité hollywoodienne, mais avec ce petit quelque chose d’un peu mal élevé qui n’appartient qu’à lui. Avec ce film de Vietnam, le réalisateur sait qu’il s’attaque à un sujet rebattu, et par les plus grands, de Cimino (Voyage au bout de l’enfer) à Stone (Platoon), de Kubrick (Full Metal Jacket) à Coppola (Apocalypse Now). C’est donc avec une certaine modestie qu’il prend la relève, en choisissant (avec ses scénaristes Ross Klavan et Michael McGruther) de planter le décor dans un camp d’entraînement sur le sol américain, loin du champ de bataille. Ici, pas de scène de combat épiques, mais une guerre des nerfs entre future chair à canon et représentants zélés de l’administration, dans un monde où l’adversité est partout. Pour mettre en scène cette atmosphère hostile, mais aussi la camaraderie qui se développe et les amitiés qui se nouent, Joel Schumacher et son directeur de la photographie Matthew Libatique tournent caméra au poing, en 16 mm, un peu à la manière d’un documentaire. Ce dynamisme formel rend compte avec brio de l’inconfort de la situation et de l’instabilité psychique qu’il génère chez ces hommes. Des hommes qui s’en iront au-devant de la mort après seulement deux mois d’entraînement, pris au piège dans les rouages de la « Green Machine », le surnom de l’armée américaine. Comme un symbole d’un avenir qui s’inscrit en pointillé, c’est au moment où ils partent pour le Vietnam que le film s’achève.

Au centre de cette fabrique mortifère, Joel Schumacher se livre à l’un de ses sports favoris, dans lequel il excelle : mettre en scène des stars – confirmées ou en devenir. Lui qui a filmé Julia Roberts, Nicolas Cage ou Robert de Niro braque cette fois sa caméra sur un jeune Irlandais méconnu de 24 ans, du nom de Colin Farrell qui, jusqu’à présent, a surtout fait de la télé en Angleterre. Schumacher lui confie le rôle de Roland Bozz, un soldat rétif à toute autorité, qui se fait remarquer par son esprit rebelle et son charisme naturel. Le personnage, bien sûr, se confond avec son interprète, qui excelle dans le rôle, et dont le tempérament de chien fou ne tardera pas à attirer l’attention des studios. Dans la dernière scène du film, au moment de quitter le camp, Bozz salue l’un de ses supérieurs pour s’excuser de son comportement… avant de lui adresser un subtil et jouissif doigt d’honneur. A posteriori, cette scène semble amorcer la destinée d’acteur de Colin Farrell, que Joel Schumacher, après l’avoir entraîné dans Tigerland, envoie au casse-pipe de la loterie hollywoodienne. Vingt ans plus tard, on sait que l’acteur (qui retrouvera son mentor dans l’excellent Phone Booth en 2002) a survécu. Avec les honneurs, mais sans jamais se départir de son charme provocateur.

Tigerland, disponible sur Mubi

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